Usine Lubrizol de Rouen: la toxicité des produits analysée par un expert

Santé-Ecologie
Publié le 5 octobre 2019
Partant de la liste des produits entreposés dans l’entrepôt A5 de l’usine Lubrizol à Rouen, dévoilée ce mardi 1er octobre, quelles substances chimiques peuvent s’être composées lors de la combustion, avec quels risques sanitaires ? 
(source Marianne par  Louis Nadau)

La liste, finalement rendue publique par la préfecture ce mardi 1er octobre, des produits entreposés dans l’entrepôt A5 de l’usine Lubrizol à Rouen, partis en fumée jeudi dernier, a de quoi faire froid dans le dos. Sur les 5253 tonnes de substances présentes dans l’entrepôt, 856 tonnes appartenaient, dans la classification établie par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), à la catégorie de risque « H304 » : « Peut être mortel en cas d’ingestion et de pénétration dans les voies respiratoires« .

Parmi les dix produits stockés en plus grande quantité dans l’entrepôt incendié – qui n’ont pas tous brûlé intégralement -, certains portent, entre autres, l’étiquette H360F – « Peut nuire à la fertilité ou au fœtus » -, ou encore H412 : « Nocif pour les organismes aquatiques, entraîne des effets néfastes à long terme« . En outre, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) qualifie de potentiellement cancérigènes les différents types de distillats de pétrole listés par Lubrizol.

COCKTAILS TOXIQUES ?

On pourrait, à la vue de cette liste, être pris de panique. Il ne faut pourtant pas oublier que ce cocktail de produits chimiques a été soumis à une combustion. Autrement dit, ces produits se sont en grande partie décomposés. « Ce qui a brûlé majoritairement, c’est du COet de l’eau« , tient à rassurer Simon Choumer, expert judiciaire en chimie industrielle contacté par Marianne.

Toutefois, selon le docteur en génie chimique, l’incendie a « très probablement » provoqué la création de nouveaux composés chimiques. « Personne ne sait exactement ce que donnent ces produits mélangés lorsqu’ils brûlent« , a d’ailleurs reconnu la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, mercredi matin sur France Inter. Un rapport de l’inspection des installations classées de 2016, révélé mardi par Mediapart, laissait toutefois peu de doute quant à la dangerosité d’un mélange des produits : « En cas d’incendie, certains produits donneraient lieu à la formation de substances toxiques« , indique-t-il.

Pour connaître la liste des produits effectivement « fabriqués » par l’incendie, il faudra attendre les résultats des nouvelles analyses des suies, attendus ce jeudi. Ceux des premiers prélèvement sont en effet largement sujets à caution, comme l’a expliqué Libération. « Les suies, qui sont composées de particules de carbone extrêmement poreuses, se sont potentiellement gorgées de ces produits. Pour se prononcer sur les dangers de cette catastrophe, c’est leur analyse détaillée qui sera décisive« , expose Simon Choumer.

MERCAPTAN, ACROLÉINE, OXYDES DE SOUFFRE…

Compte tenu des « ingrédients » stockés dans l’entrepôt incendié de Lubrizol, quels pourraient être ces produits ? Du mercaptan, tout d’abord, dont la présence est déjà attestée par les émanations nauséabondes de l’incendie. « Cette odeur est perceptible à partir de 0,0005 partie par million (ppm). Les appareils de mesure ne peuvent pas détecter des quantités aussi faibles, mais le nez si. C’est pour cela que certains habitants ne comprennent pas les relevés d’air, qui ne montrent pas de trace de ce produit, alors qu’eux-mêmes le sentent« , détaille l’expert.

« Cependant, la dose toxique est de 0,5 ppm, soit mille fois plus. La dose létale est quant à elle de 1350 ppm pour une heure d’exposition. Autrement dit, ce n’est pas parce que la population sent ce produit qu’elle en inhale une dose toxique« , insiste Simon Choumer. La combustion a très probablement produit de l’hydrogène sulfuré (H2S), un produit à l’odeur caractéristique d’œuf pourri, qui est lui aussi toxique a fortes doses.

Autre molécule potentiellement issue de la combustion: l’acroléine. Il s’agit d’un produit hautement toxique, notamment pour le foie, issu de la décomposition des huiles. L’acroléine irrite également la peau et les muqueuses. Son seuil de toxicité est assez bas, puisqu’il se situe à 0,4 microgramme par m3. « Il faut toutefois relativiser, ce produit est aussi présent dans les cigarettes« , souligne Simon Choumer.

L’incendie pourrait aussi avoir entraîné la production de différents oxydes de souffre, qui sont très irritants. Il est possible qu’un petit pourcentage de ces oxydes se transforme en acide sulfurique en cas de pluie, de même que pour l’oxyde d’azote, dont une partie pourrait se transformer en acide nitrique en cas de pluie.

UN TAUX DE DIOXINE « RELATIVEMENT FAIBLE »

Dernier produit possiblement dispersé dans la nature par l’incendie : les fameuses dioxines, auxquelles une exposition prolongée s’associe, selon l’OMS, « à une dégradation du système immunitaire, du développement du système nerveux« . Simon Choumer reste toutefois très prudent sur cette hypothèse : « La formation de dioxine nécessite des atomes de chlore, or il n’y en avait qu’en faible quantité dans ce qui a brûlé« , analyse l’expert.

Le directeur général de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), Raymond Cointe, a d’ailleurs assuré que les niveaux de dioxines mesurés sous le panache de fumée sont « relativement faibles« . « Je ne pense pas qu’il faille avoir d’inquiétude particulière« , a-t-il affirmé devant la presse, tout en rappelant que des analyses sont encore en cours pour les produits alimentaires.

QUEL RISQUE SANITAIRE ?

Dans quelle mesure ces produits peuvent-ils être dangereux ? « Tout dépend de la manière dont ces produits ont été dilués dans l’air« , répond Simon Choumer, qui émet également l’hypothèse, selon la température de combustion et la force du vent, de la possible formation d’un « brouillard » issu de la vaporisation de certains produits classifiés H304, lesquels conserveraient alors leurs propriétés cancérigènes. « L’élimination dans les cours d’eau ne devrait pas poser de problème« , précise-t-il par ailleurs.

« On a des produits dangereux, on a des produits de combustion dangereux, après pour savoir s’il y a un risque sanitaire, il faut des données d’exposition » qui manquent encore, résume auprès de l’AFP Fabrizio Pariselli, toxicologue à l’unité de prévention du risque chimique du CNRS. La ministre de la Santé ne peut ainsi que rassurer : « Cette pollution qui est réelle, pour l’instant, elle n’entraîne pas de risques pour la santé, avec ce que nous connaissons aujourd’hui. » Quant à demain, il est trop tôt pour le dire.

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