Publié le 23 juillet 2018
Produite par des artisans artistes au service de la gastronomie euskarienne, cette variété d’“ardi gasna” est le reflet passionné du terroir qui l’a vue naître. Des bêtes qui paissent en liberté, une méthode de préparation conforme aux procédés traditionnels pour une tome typiquement basque.
Source: Marianne Magazine 20 Juillet 2018 par PÉRICO LÉGASSE
Posé sur un méandre de la Nive, aux pieds des monts Artzamendi et Mondarrain, là où les Pyrénées arrondies et verdoyantes accentuent leur descente vers l’océan Atlantique, le village d’Itsasu (Itxassou en mode francisé) demeure un pays de Cocagne tel que l’on peut encore y croire au XXIe siècle. Cernée par une nature sauvage, fidèle à ses origines, attachée à sa ruralité, cette bourgade de l’ancienne province basque du Labourd manifeste un dynamisme porté par l’engagement déterminé de certains indigènes, au sens le plus noble du terme, pour la cause paysanne.
La configuration même de la commune, subdivisée en quartiers aux toponymes spécifiques, participe de cette réalité. L’un d’entre eux, Basaburu, que nous pourrions traduire en français par « Au sommet du bois », constitue en soi une petite république au sein de cet univers agricole enraciné dans sa diversité. A lui seul, ce joli vallon regroupe, à travers les différentes fermes qui le parsèment, tout ce que l’on produit de meilleur au Pays Basque.
Si la cerise reste le fruit emblématique local, le piment, partagé avec sa voisine Espelette, à laquelle il doit son nom, est le point fort de cette agriculture où l’on trouve l’excellence du porc basque Kintoa, comme à la ferme Haranea de Christian Aguerre, mais aussi des volailles, des légumes, des fruits et, héros du jour, du fromage de brebis. Un territoire plein de bruits et de fureurs où pousse, croît, mûrit, broute, picore, glousse, caquette, bêle et grogne tout ce qui participe de la gastronomie basque. Parmi ce concert de sons et de saveurs, le bêlement de la brebis se distingue par sa dimension culturelle et sociale puisque l’élevage ovin s’inscrit ici dans une tradition nationale.
Têtes rousse ou tête noire
Outre l’agneau des Pyrénées, à la carte des plus grands chefs de Navarre et de France, la tome de brebis est l’autre fleuron de cette symphonie pastorale. Ici règne la race manech, via ses deux variétés, la tête noire, reconnaissable à ses cornes en spirale, très rares chez la femelle du bélier, et la tête rousse, dépourvue de protubérances mais aussi rustique que sa cousine pour s’adapter aux rigueurs de la montagne. Bien qu’ils soient réunis sous un même label, l’AOP OssauIraty, tout distingue les fromages du Béarn et ceux du Pays Basque puisque ce n’est ni la même géographie, ni le même climat, ni la même race ovine.
En terme d’appellation d’origine proprement dite, hormis le béret que les éleveurs, hélas, ne portent plus, il n’y a donc rien de commun entre ces deux terroirs. Gageons que le bon sens, la cohérence et le courage gagneront un jour les consciences pour corriger une aberration conçue par des ignares. C’est précisément à Itsasu que cette différence est la plus flagrante car les fromages produits à Basaburu n’ont rien à voir avec ceux que l’on trouve dans la vallée de Barétous, au fin fond des Pyrénées béarnaises.
Deux merveilleux fromages, avec leur spécificité et leur caractère. Nous avons eu un coup de coeur pour la tome de brebis qu’élabore Maryse Cachenaut en sa ferme Etxeberria, l’une des plus proches du village. A la tête d’un troupeau de 180 manech à tête rousse, cette égérie de la ruralité basque, par ailleurs engagée dans le syndicalisme agricole au nom d’une certaine idée de la paysannerie, produit l’un des meilleurs fromages fermiers du pays. Nous sommes ici dans la recherche de l’authenticité absolue, tant sur le plan de l’alimentation du bétail, essentiellement fournie par les pâturages environnants sur lequel les brebis paissent en liberté, que sur la méthode de préparation qui respecte les procédés traditionnels assurant une typicité ancienne.
Voici un ardi gasna, ainsi que les Basques désignent le fromage de brebis, dont la texture et les arômes indiquent la rigueur et la précision avec lesquelles Maryse Cachenaut veille à sa préparation. Il s’agit d’une pâte pressée non cuite au lait cru de brebis ensemencé par des bactéries lactiques naturelles. Un lait d’une telle pureté que toutes les nuances de la flore saisonnière, évidemment plus riche à la belle saison, se retrouvent dans les charmes organoleptiques du fromage. Protégé par une jolie croûte dorée, celui de la ferme Etxeberria révèle une pâte toute en finesse, ferme au toucher mais onctueuse en bouche, libérant des notes de foin frais, de noix et de sous-bois. Rien ne le met plus en valeur que de le déguster avec la confiture d’Itsasu maison, issue des trois variétés de cerises locales, que Maryse prépare elle-même dans son atelier.
Un coup de coeur également pour les fromages de la ferme Aroztegia, où Mizel Hiribarren et son associé, Ramuntxo Lascaray, produisent une tome de brebis traduisant elle aussi dans la délicatesse de ses parfums toutes les nuances du paysage environnant. Un grand fromage se reconnaît en effet à sa capacité à retracer le paysage qui l’a vu naître. Telle est la principale vertu des bergers basques, imprégner leur ouvrage des expressions de la terre qu’ils défendent pour la simple raison que le droit du sol, au sens littéral du terme, est ici prioritaire. Autant dire que Basaburu est un festin à lui seul, servi par des résistants de la ruralité, soldats de la biodiversité, combattants de l’écologie non récupérée et promoteurs d’une éthique alimentaire essentielle à la survie de notre planète.
Deux jardiniers du bonheur
C’est fou ce qu’un fromage fermier peut, au-delà des plaisirs partagés, contenir comme message politique. Maryse Cachenaut et Mizel Hiribarren sont donc deux jardiniers du bonheur. S’il y a en effet tant d’émotion à parcourir cette campagne magnifique, ces chemins de montagne bien entretenus, à contempler ces reliefs imposants, à se réjouir de croiser des troupeaux évoluant sur des pâturages immaculés, c’est que chaque jour, le coeur à l’ouvrage, des paysans se donnent du mal pour préserver et transmettre ce patrimoine aux générations futures.
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