Publié le 22 juillet 2019
C’est le Far West au grenier. Le marché des offres d' »isolation à 1 € », en pleine explosion depuis l’assouplissement, début 2019, des critères de revenus permettant de bénéficier de ce dispositif, est devenu le terrain de jeu d’escrocs de tout poil. Du démarchage abusif, notamment le harcèlement téléphonique, à l’arnaque pure et simple, les dérives rapportées à Marianne sont nombreuses, si bien que l’isolation thermique de ses combles, de l’extérieur de sa maison ou de sa cave, censée permettre de faire des économies tout en réduisant son empreinte environnementale, est devenue une véritable roulette russe pour un consommateur non averti.
L’ISOLATION À 1 €, ÇA EXISTE
Pour commencer, bien que des entreprises peu scrupuleuses profitent de la complexité du système et du flou qui l’entoure pour s’enrichir sur le dos de leurs clients, sachez que l’offre d’isolation à un euro existe bel et bien. Elle s’inscrit dans le cadre de la loi Pope de 2005 qui instaure, via le système des Certificats d’économie d’énergie (CEE), en vigueur depuis 2006, le principe du pollueur-payeur. Concrètement, les entreprises polluantes qui fournissent de l’énergie – gaz, électricité, carburant – doivent réaliser des opérations permettant aux particuliers d’économiser de l’énergie, en échange de quoi elles obtiennent un Certificat d’économie d’énergie. Tous les trois ans, l’Etat fixe un objectif à atteindre pour ces « obligés » : s’ils ne présentent pas assez de CEE, ils doivent payer une pénalité pour s’acquitter de leur dette environnementale.
Fondé sur ce système, le dispositif « coup de pouce », lancé en 2017, prévoit que les entreprises paient tout ou partie de la facture des travaux d’isolation thermique en échange de l’obtention d’un CEE. Cette aide, cumulée à l’offre « Habiter mieux agilité » de l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat (Anah) et au Crédit d’impôt pour la transition énergétique (Cite), qui peut rembourser jusqu’à 30% de la dépense, permet aux particuliers de ne payer effectivement, en bout de course, qu’un euro symbolique. Mais les moins scrupuleux des opérateurs proposant des offres rognent sur la qualité des matériaux utilisés ou emploient des travailleurs détachés pour faire baisser la facture.
DES CONDITIONS ÉLARGIES
Auparavant réservées aux ménages modestes, les primes CEE ont été étendues à tous les particuliers depuis le début de l’année, afin d’atteindre l’objectif de 500.000 logements rénovés par an, fixé par Nicolas Hulot en avril 2018. L’aide pour les ménages les plus modestes reste toutefois plus élevée : 20 euros par m2 d’isolant posé dans le cas des ménages aux revenus faibles, 10 euros par m2 d’isolant posé pour les autres foyers. Pour une personne seule, le plafond de revenu annuel est fixé à 24.918 euros de revenus annuels en Île-de-France et à 18.960 euros ailleurs. Pour un foyer de quatre personnes, il s’élève à 51.289 euros en Île-de-France et à 38.958 euros en régions. Des sociétés comme Sonergia, Quelle Energie, Vos travaux Eco ou encore Combles Eco Energie, signataires de la charte « Coup de pouce », servent d’intermédiaires pour les particuliers afin de faire financer leurs travaux par des CEE, et se sont adaptées pour effectivement proposer, grâce aux aides cumulées, des offres avec un reste à charge d’un euro.
Les plafonds de revenus pour bénéficier du dispositif « Coup de pouce » en tant que ménage modeste. / Capture d’écran ecologique-solidaire.gouv.fr
ETAPES DU « COUP DE POUCE »
En théorie, l’offre à un euro est soumise à plusieurs conditions : la prime doit être demandée avant d’engager des travaux – signature de devis, versement d’acompte, commande -, les travaux doivent être réalisés par une entreprise certifiée « Reconnue garante de l’environnement » (RGE) et les équipements choisis doivent répondre à des critères de performance précis. Concrètement, un particulier choisit l’une des offres de financement de ses travaux auprès d’une société signataire de la charte « Coup de pouce », puis signe le devis proposé par une entreprise certifiée RGE pour la réalisation des travaux. Il peut alors toucher la prime CEE par chèque, par virement, sous forme de bons d’achats ou par déduction de la facture.
D’autant plus depuis son élargissement, ce marché constitue une aubaine pour le secteur du bâtiment, qui se traduit par une prolifération d’offres. Au niveau local, les Agences départementales d’information sur le logement (Adil), chargées de conseiller les particuliers désireux de faire des travaux, sont beaucoup plus sollicitées. « Cette année, on est déjà au double du volume d’activité normal de l’année passée sur ces offres« , nous explique Stéphane Charpentier, conseiller à l’Adil de l’Indre.
HARCÈLEMENT TÉLÉPHONIQUE
Côté clients, ce boom se traduit par un démarchage téléphonique qui peut carrément virer au harcèlement. A Figeac, dans le Lot, Martine est ainsi sollicitée quotidiennement : « Ça dure depuis des mois, même le week-end. Nous recevons au minimum quatre ou cinq appels par jour. Certains jours, ça peut atteindre les dix !« , nous raconte la retraitée. « D’une manière ou d’une autre, ils savent que nous sommes propriétaires. Nous sommes pourtant inscrits sur Bloctel(une liste d’opposition au démarchage téléphonique mise en place par le gouvernement, ndlr) mais manifestement, ça ne les arrête pas… ».
Début 2019, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a pourtant sévi, comme l’a rapporté 60 millions de consommateurs. Deux sociétés, Premium Energy et Oxygène, se sont respectivement vu infliger des amendes administratives de 40.000 et 24.850 euros pour avoir démarché des consommateurs inscrits sur Bloctel. Mais ces sanctions n’ont pas coupé l’appétit des prospects. « Il y a de plus en plus d’appels automatisés. Si vous ne répondez pas, ça tourne en boucle et vous êtes immédiatement rappelé. C’est vraiment infernal« , soupire Martine.
ISOLATION BÂCLÉE… VOIRE DANGEREUSE
Ce démarchage frénétique débouche, dans le pire des cas, sur des arnaques pures et simples. Bien souvent, les offres diffusées sur les réseaux sociaux piègent les particuliers désireux d’isoler leur logement. C’est le cas de Sandrine, contactée par téléphone après s’être inscrite sur un groupe Facebook consacré aux travaux d’isolation qui lui faisait miroiter « jusqu’à 30% d’économies sur ses factures de chauffage« . Dans sa maison d’un village près de Bellegarde, dans le Loiret, cette quadragénaire s’est retrouvée, dans le garage qu’elle voulait faire isoler, avec des plaques de laine de verre séparées les unes des autres… d’une quinzaine de centimètres. « Sans parler des finitions qui ne sont pas faites, ces travaux sont complètement inefficaces sur l’isolation« , déplore Gilles Morel, secrétaire général de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb).
Une malfaçon dans une maison de Haute-Saône. / DR
« Ces travaux sont complètement inefficaces sur l’isolation« , euphémise Gilles Morel. / DR
Dans le cas de travaux non subventionnés, Sandrine aurait pu refuser d’acquitter l’addition en constatant ces malfaçons. Mais, en l’occurrence, l’entreprise mise en cause n’a cure de la qualité de l’isolation, puisque le « payeur » réel – les pollueurs « obligés » – ne sont pas sur place pour constater les dégâts. Il suffit à l’entreprise peu scrupuleuse, qui utilise bien souvent des sous-traitants pour effectuer les travaux, d’avoir collecté les documents requis pour obtenir le paiement par une prime CEE. Et tant pis pour le client ! « Je n’arrêtais pas de leur dire que ça n’allait pas, j’ai fini par signer leurs papiers pour qu’ils s’en aillent« , se souvient Sandrine, expliquant que l’entreprise avait établi le devis et commencé le même jour, sans respecter le délai de rétractation de deux semaines prévu par la loi. « Je les ai rappelés ensuite, sans jamais obtenir de réponse« . « Théoriquement, ces entreprises sont censées pouvoir justifier du sérieux de leurs travaux pour être payées par les CEE mais on se pose des questions, parce que nous n’avons jamais vu de contrôle et qu’elles laissent très peu de papiers« , constate Gilles Morel. Sandrine n’a plus qu’à refaire les travaux mais cette fois, à ses frais, puisqu’elle a déjà utilisé l’aide de l’Etat.
« Des entreprises éphémères écument une région puis se volatilisent »
Le mode opératoire des escrocs est désormais bien connu des spécialistes du secteur : « Des entreprises éphémères, installées en région parisienne, écument une région en faisant 20 ou 30 chantiers facturés entre 1.500 et 4.000 euros, puis se volatilisent« , nous explique le secrétaire général de la Capeb. Généralement, leur main-d’œuvre est loin d’appartenir à la fine fleur de l’artisanat, comme le constate Stéphane Charpentier, de l’Adil : « On voit débouler des équipes de Moldaves et de Roumains, qui ne parlent pas un mot de français. Ils arrivent avec des camions de location, ils sont sous-équipés. Normalement il faut un casque, une combinaison et un masque pour faire des travaux d’isolation, là ils sont en tongs et en short !« .
Autant dire que la sécurité des chantiers est loin d’être assurée. « Un des ouvriers n’avait pas fait un mètre cinquante dans les combles qu’il est passé à travers le plafond, parce qu’il n’avait pas compris mes avertissements« , nous raconte Jean-Paul, qui a voulu faire isoler les 110 m2 de sa maison des Aynans, en Haute-Saône. La chute, sans gravité pour le travailleur, a tout de même laissé un trou béant dans son plafond, qu’il a dû reboucher lui-même. Là encore, l’entreprise n’a plus jamais répondu aux appels de son client. C’est que le service après-vente n’est pas le fort des arnaqueurs de l’isolation à un euro, plutôt expertes de l’abattage pur et simple. « Ces équipes battent des records pour boucler un chantier : elles arrivent à isoler le plafond d’un sous-sol d’une centaine de m2 en trois heures, là où un chantier normal de ce type prend au moins une journée« , ironise Stéphane Charpentier.
Et ces travaux bâclés peuvent être très lourds de conséquences : en décembre dernier, quelques semaines après des travaux d’isolation dans sa maison de Fresne-Saint-Mamès, Virginie est réveillée en pleine nuit par une odeur de brûlé. « Le toit était en train de prendre feu, c’était la charpente« , explique-t-elle. Le début d’incendie éteint, les pompiers détaillent à la propriétaire les raisons du sinistre : « Le conduit de la cheminée, noyé sous la laine de verre projetée, avait surchauffé. A 30 minutes près, c’était la catastrophe« , se souvient Virginie, qui craint de n’être indemnisée par son assurance qu’après des années de procédure, l’entreprise responsable s’étant bien évidemment volatilisée dans la nature.
COMMENT SE PRÉMUNIR
D’autres escroqueries plus sophistiquées se sont développées sur le filon. « On voit passer beaucoup de cas d’entreprises qui font signer un prêt affecté – un prêt à la consommation –, avec un différé de remboursement et la promesse d’obtenir l’aide isolation à un euro ensuite« , nous confie un conseiller de la plateforme nationale Faire, consacrée à l’accompagnement des travaux de rénovation énergétique. « Ils facturent des travaux très chers qui seront payés par ce crédit, en laissant penser aux gens qu’ils seront remboursés grâce au dispositif CEE. Puis ces entreprises effectuent les travaux, sans faire de demande d’aide, évidemment. Lorsque les mensualités du crédit commencent à tomber, les particuliers se rendent compte, trop tard, de l’arnaque ». Le même conseiller évoque des montants de 30.000 à 40.000 euros que des particuliers modestes doivent alors rembourser.
L’ampleur, en termes de nombre de victimes, du préjudice causé par ces arnaques de l’isolation à un euro est difficile à évaluer. « Bien souvent, les gens ne se plaignent pas, parce qu’ils n’ont investi qu’un euro dans ces travaux« , regrette-t-on au sein du réseau Faire. De sorte que, pour les arnaqueurs, peu attaqués en justice, l’impunité est presque totale. En outre, les offres à un euro ne font l’objet que de contrôles limités et aléatoires du Pôle national des certificats d’économies d’énergie (PNCEE), rattaché au ministère de la Transition écologique et solidaire. Contactés l’un et l’autre, ni le PNCEE, ni le ministère n’ont donné suite à nos sollicitations. Certes, le gouvernement a tenté, le 30 avril dernier, de renforcer les contrôles autour des CEE. Mais le 3 mai, le Conseil d’Etat a retoqué le projet gouvernemental inclus dans son projet de « petite loi énergie ». Le texte proposé « ne définit pas ses objectifs et ne précise pas clairement les missions et obligations de chacun« , justifie l’autorité administrative.
Il ne reste à ce jour que la prudence pour les consommateurs. UFC-Que Choisir donne ainsi trois recommandations simples : ne « jamais donner suite au démarchage téléphonique« , toujours exiger un devis détaillé avant les travaux à une entreprise certifiée RGE et, surtout, prendre rendez-vous avec un conseiller de l’Espace Info Énergie local pour être conseillé (gratuitement) sur les travaux à entreprendre.
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