Publié le 10 mai 2024
La crise climatique rend la viticulture de plus en plus difficile. Dans l’Aude, des vignerons développent la culture de l’aloe vera, une plante qui résiste à la sécheresse.
Fitou (Aude), reportage
D’un coup de poignet expert, Laurent Maynadier tranche une épaisse feuille d’aloe aux reflets céladon. Trois mouvements de couteau, et voici la palme pelée. Délicatement, l’homme extrait un peu de suc gélatineux. Le Graal. « Cette pulpe est cicatrisante et hydratante », dit-il en souriant. Malgré ses gestes sûrs et ses connaissances encyclopédiques, Laurent Maynadier est un novice en matière d’aloe vera.
Treizième génération d’une lignée de vignerons, il cultive avec sa compagne, Marie, une dizaine d’hectares au domaine du Champ des sœurs, à Fitou (Aude). Enfin, cultivait. Car le couple diminue progressivement les surfaces viticoles au profit de la plante grasse.
L’intérieur de l’aloe vera est gélatineux. On peut directement le mettre sur sa peau ou même l’ingérer. © David Richard / Reporterre
À l’origine de cette mutation : la sécheresse. « Ça fait dix ans qu’on voit les effets du changement climatique, tout devient peu à peu désertique ici, décrit le paysan. L’an dernier, il n’a plu que 240 mm, alors qu’il en faut au moins 350 pour que la vigne se porte bien. » Les vendanges de plus en plus précoces, les fruits qui brûlent sous le cagnard, l’aridité récurrente… « On n’a rien pu récolter l’an dernier, et cette année s’annonce aussi très difficile. Il n’y a pas d’autres solutions : il faut se diversifier. »
Voici quatre ans, le couple s’est ainsi mis en quête d’alternatives. Les plantes médicinales ? « Pas assez de froid l’hiver. » L’olivier ou l’amandier ? « Pas suffisamment d’eau. » La grenade ? « Toute l’Espagne en cultive. » Après quelques tâtonnements, aiguillés par la Chambre d’agriculture, Laurent et Marie se sont tournés vers l’aloe vera. Importés d’Andalousie, 300 plants ont pris racine dans leurs terres caillouteuses. Et là, le miracle.
300 plants d’aloe vera sont cultivés ici. © David Richard / Reporterre
« Expérimenter l’agriculture de demain »
Luttant contre un zéphyr glacial, Laurent Maynadier se fraie un chemin dans une parcelle aux airs de Far West. Entre les rangées d’arbustes courbés par le vent, des centaines de succulentes déploient leurs palmes dentelées. « On a multiplié par dix les plants en trois ans, se réjouit le paysan. La plante est bien adaptée à notre terrain. » À ses côtés, son ami Frédéric Rozis acquiesce. Expert de la vie des sols, cet éleveur de lombrics a suivi pas à pas les avancées des vignerons : « Ils sont peut-être en train d’expérimenter l’agriculture de demain en Occitanie. »
Une jolie pirouette de l’histoire : cultivé principalement en Amérique latine et en Asie, l’arbrisseau aux feuilles charnues est originaire du pourtour méditerranéen. Utilisé depuis l’Antiquité dans la pharmacopée européenne, « Christophe Colomb l’a emporté avec lui dans ses voyages, pour soigner les matelots », raconte Laurent Maynadier. Avec le succès que l’on sait.
La plante retient l’eau dans ses feuilles et résiste ainsi à la sécheresse. © David Richard / Reporterre
Développer l’aloe aux frontières méridionales de l’Hexagone n’a donc rien de farfelu. « C’est une plante très résistante à la sécheresse, qui retient l’eau dans ses feuilles, explique Laurent Maynadier. Elle ne supporte ni le gel ni l’excès d’eau. » La plante est aussi très peu sensible aux champignons et autres maladies pouvant venir du sol. Pourtant, les producteurs français d’aloe se comptent sur les doigts d’une main.
« L’industrie cosmétique se fournit en poudre déshydratée produite en Amérique, en Asie et en Espagne », explique le vigneron. Il reste donc un défi, de taille, pour que la bifurcation des Maynadier réussisse : trouver des débouchés. En commençant par créer une filière locale. « La demande est là, présente, pressante même », expliquait au Parisien Alexandre Fouet, qui dirige Sens+, un fonds de dotation chargé de dynamiser ce secteur embryonnaire.
Plusieurs produits sont testés, comme du gel d’aloe vera. © David Richard / Reporterre
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