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Comment nous mangeons tous de l’essence : le journaliste Guillaume Coudray alerte sur les dangers de l’hexane (source Marianne)

Santé-Ecologie
Publié le 18 septembre 2025

Marianne : De quoi l’hexane est-il le nom ?

Guillaume Coudray : C’est un sous-produit de la production d’essence. Le pétrole brut contient toutes sortes de molécules qui servent à produire du carburant d’aviation ou automobile, du white-spirit… ou de l’hexane. Pendant longtemps, il était tout simplement brûlé au sein des raffineries, jusqu’à ce que des chimistes américains découvrent, au début du siècle dernier, qu’il était possible d’extraire plus d’huile des graines d’oléagineux en utilisant des produits chimiques, comme l’hexane. On peut alors se passer du pressage en plongeant la graine dans ce solvant. C’est aux États-Unis, en 1930, que l’utilisation massive de ce produit hydrocarboné a démarré. Dans l’après-guerre, l’Europe a suivi.

Pour quelle raison le recours à un sous-produit pétrolier dans l’alimentation n’a choqué personne ?

Depuis les années 1930, les industriels s’appuient sur un postulat, formulé par les toxicologues de l’époque, selon lequel l’hexane était inoffensif parce que « chimiquement stable » : une fois ingérés, ses résidus, impossibles à supprimer du produit fini, étaient censés être excrétés dans les urines ou les selles… C’est sur cette hypothèse réglementaire erronée que s’appuient encore certains fabricants. Mais dès la fin des années 1960, on a découvert que les ouvriers de l’industrie de la chaussure, où on utilisait beaucoup d’hexanes dans les solvants pour coller les semelles, souffraient de graves maladies neurologiques. Des études ont été lancées, et on s’est aperçu que, loin d’être stable, l’hexane se transforme en une autre substance ultra-toxique : la 2.5-hexanedione.

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Quels sont les risques sanitaires connus ?

Les maladies neurologiques, comme la sclérose en plaques ou la maladie de Parkinson, constituent le risque principal. L’impact est également avéré sur la fertilité. Par ailleurs, les usines de « trituration », au nombre de sept en France, sont aussi très dangereuses, parce que l’hexane explose plus facilement que du carburant normal. En France, la dernière grosse explosion remonte à 2018, sur le site de Dieppe, où deux ouvriers sont décédés en vidant un extracteur. L’année dernière, je me suis rendu à Sète quelques semaines avant qu’une explosion ne s’y produise. À Clermont-Ferrand, de vieux moulins à huile édifiés au cœur d’un habitat très dense ont été assez tardivement équipés d’extracteurs à l’hexane…

Dans quels produits trouve-t-on de l’hexane ?

D’abord dans les tourteaux qui servent à nourrir le bétail. Les doses résiduelles d’hexane autorisées y sont particulièrement élevées : un kilo d’hexane par tonne de tourteau. Ensuite, les résidus d’hexane peuvent être présents dans de nombreux produits alimentaires qui contiennent des huiles végétales, de la lécithine ou de la farine de soja, de la margarine… On en retrouve dans certaines charcuteries, dans des produits végans, mais aussi dans des parfums, des produits cosmétiques ou pharmaceutiques. En revanche, la filière bio interdit totalement l’utilisation de l’hexane. Hélas, les consommateurs sont maintenus dans l’ignorance : l’hexane n’apparaît pas sur la composition des produits alimentaires, alors que des additifs dangereux sont, eux, bien listés. La raison de cette absence est liée à la classification de l’hexane comme « auxiliaire technologique », utile à la fabrication de produits agroalimentaires.

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Comment ce secret a-t-il été gardé aussi longtemps ?

C’est un secret de polichinelle. Quand les études alertant sur la dangerosité se sont multipliées à partir des années 1970, les industriels en ont amenuisé l’impact en assurant que le risque se limitait au cadre professionnel, par inhalation, en excluant l’aspect alimentaire. Aujourd’hui, les industriels qui utilisent l’hexane soulignent, à raison, que les doses résiduelles qui peuvent être présentes dans les produits sont toujours nettement inférieures aux doses maximales autorisées. Pour eux, revenir en arrière est compliqué : la Terre s’est couverte d’extracteurs à l’hexane, avec des milliards d’investissements à la clé. Certains chercheurs au service de l’industrie et les politiques ont maintenu une omerta totale.

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Pourquoi les pouvoirs publics ou les agences de sécurité sanitaires n’ont-ils pas bougé ?

Il faut sortir de l’idée selon laquelle les pouvoirs publics seraient une sorte d’instance supérieure soucieuse de protéger la santé du consommateur contre les lobbies. Le premier protecteur de l’industrie des charcuteries nitrées reste le ministère de l’Agriculture, qui empêche que des régulations plus protectrices soient mises en place. L’implantation d’extracteurs relève, elle, de décisions déterminantes pour l’industrialisation de l’agriculture, par exemple en Bretagne. Il s’agit de transformer le soja sud-américain et nord-américain à Saint-Nazaire ou Brest, pour faire d’un côté de l’huile, mais surtout du tourteau pour tous les élevages de la région.

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Le cas de l’hexane est loin d’être isolé : on retrouve le même schéma de collusion avec l’amiante, le tabac, les PFAS ou polluants éternels. Logique : la construction de ces filières agro-industrielles ne s’est jamais faite par la seule volonté des industriels, mais main dans la main avec les pouvoirs publics. Néanmoins, l’Autorité européenne de sécurité des aliments a lancé, fin 2024, une procédure de réévaluation.

La donne va-t-elle changer pour autant ?

Au niveau mondial, les industriels ne lâcheront pas facilement ce qui est pour eux le solvant idéal. Leur ligne est simple : tant que c’est autorisé, pourquoi s’en priver ? L’hexane n’est pas cher, les usines qui l’utilisent emploient très peu de main-d’œuvre (une ligne de production tourne avec deux ouvriers), la maintenance des machines est nulle puisque le matériel ne s’use pas, et cette norme est globalisée, avec des centres de décision essentiellement nord-américains. Il y a toujours une emprise largement états-unienne, ou de ce qu’on appelle « ABCD », pour les quatre grandes multinationales du trading d’oléagineux (ADM, Bunge, Cargill, Louis Dreyfus). La force d’inertie de ces géants, leur puissance d’influence au niveau supranational, sur les instances de décision, font qu’aucune remise en cause n’est envisagée. Les acteurs de la filière spéculent aussi sur l’oubli, en espérant qu’une fois l’alerte passée, ils pourront continuer.

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