« L’état de tous les écosystèmes a empiré »source: CNRS le journal Jean-Baptiste Veyrieras

Déchets Santé-Ecologie
Publié le 10 mai 2019
Les populations d’animaux et de plantes ne cessent de décliner : tel est le constat sans appel de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) qui publie aujourd’hui son rapport. Retour sur ce travail scientifique et diplomatique avec l’un de ses protagonistes, l’écologue Franck Courchamp.

Ours polaire (Ursus maritimus) marchant sur le rivage en contre-jour, Ile Barter, Nord du cercle polaire, Alaska.

Quelles sont les principales conclusions de ce rapport international ?
Franck Courchamp1
  On savait déjà que la biodiversité mondiale allait très mal. Les évaluations chiffrées du rapport soulignent à quel point il est urgent d’agir. L’état de tous les écosystèmes de la planète a même empiré au cours de ces deux voire trois dernières décennies. Ce qui peut paraître paradoxal puisque nous connaissions déjà le problème et que des engagements forts ont commencé à être pris. Tous les pays doivent à présent faire plus et lutter de concert. C’est bien le sens et le message envoyé par ce premier rapport international, à l’image de ce qu’a entrepris et rendu possible le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Ce rapport est donc très important car c’est le premier d’une telle ampleur. Pour la COP15 Biodiversité en Chine qui se tiendra l’année prochaine, il fournit les informations nécessaires afin que les États puissent établir la prochaine génération d’engagements en faveur de la biodiversité.

Peut-on parler d’une sixième extinction de masse ?
F. C. : Techniquement parlant, une extinction de masse correspond à la perte d’un certain pourcentage de la biodiversité, au moins 75 %, dans un temps relativement court (à l’échelle géologique : quelques millions d’années au maximum) et à l’échelle de toute la planète (à l’image de celle des dinosaures). On n’a certes pas encore atteint de tels niveaux, mais compte tenu de la dynamique de réduction des populations d’animaux et de plantes, on peut considérer qu’on est en train de rentrer dans une sixième extinction de masse. Plus précisément, depuis l’arrivée de l’homme sur Terre, on estime qu’au moins 2 % des espèces vivantes se sont éteintes, et cela pourrait rapidement atteindre 25 % au moins si rien n’est fait pour enrayer le déclin actuel. C’est gigantesque ! Toutes les espèces étant liées entre elles, des réactions en chaîne pourraient alors altérer durablement tous les écosystèmes et menacer la biosphère d’effondrement.

Dans le monde plus d’une espèce de mangrove sur 6 est menacée d’extinction.

Quels sont les principaux écosystèmes touchés ?
F. C. Ce sont ceux qui se trouvent sur ce que nous appelons les points chauds de biodiversité. Nous en avons recensé 35 sur la planète, dont le bassin méditerranéen. Ils occupent une toute petite surface de la Terre – environ 2 % – et abritent pourtant jusqu’à 75 % des espèces animales terrestres menacées. Les grands récifs coralliens en sont des exemples emblématiques. Ces derniers sont touchés de manière multiple, en particulier par le réchauffement climatique. Les modèles prédisent que plus de 99 % des surfaces coralliennes disparaîtront avec 2 °C de réchauffement seulement. Or ces récifs sont extrêmement importants, car ils jouent un rôle essentiel : ils servent de nurserie pour de nombreuses espèces de poissons qui, à leur tour, offrent aux populations locales des ressources de pêche primordiales. Plus d’une espèce de mangrove sur 6 est menacée d’extinction, un taux qui dépasse les 40 % dans les mangroves d’Amérique Centrale. Au-delà de ce constat accablant, il est important de comprendre que tous ces écosystèmes, marins ou terrestres, participent à un vaste ensemble de cycles biogéochimiques complexes et interdépendants, qui conditionnent la survie de nombreuses espèces, dont la nôtre. On peut mentionner pêle-mêle la pollinisation, la fertilisation des sols, la purification de l’eau, la fourniture de nourriture ou d’énergie – à titre d’exemple, près de 2 milliards de gens sur Terre se chauffent encore au bois. L’intégralité de ce qu’on mange provient de la biodiversité. Et même nos médicaments : jusqu’à 70% des composés anticancéreux actuels en sont issus.

Quels sont les principaux facteurs incriminés ?

Des politiques ambitieuses de protection des espèces peuvent enrayer le déclin. Mais ces programmes de conservation doivent s’accompagnent d’un volet social afin de sensibiliser largement les populations à ses problématiques.

Il y a cinq facteurs globaux, tous d’origine humaine. En premier, la destruction et la dégradation des habitats via la déforestation, la destruction des fonds marins par le chalutage, etc. Ensuite, la surexploitation des espèces vivantes, concernant des dizaines de milliers d’espèces différentes, des arbres aux éléphants, en passant par les poissons pour la pêche ou les oiseaux utilisés comme animaux de compagnie. Le troisième facteur est lié à la pollution sous toutes ses formes : présence de plastiques dans l’eau, de perturbateurs endocriniens, de pesticides dans les sols, de particules fines dans l’air, etc. Viennent ensuite les espèces envahissantes, dont l’augmentation des introductions et des impacts a suivi l’amplification de la mondialisation des échanges commerciaux. Enfin, le réchauffement climatique oblige les espèces à s’adapter, à migrer ou à disparaître. Puisque l’adaptation requiert des temps évolutifs longs et que la migration nécessiterait des continuités écologiques qui n’existent plus, de nombreuses espèces sont menacées d’extinction à court terme.

Est-il encore possible d’inverser la tendance ?
F. C. Aujourd’hui, 75 % des environnements terrestres et 40 % des environnements marins sont profondément altérés. Des dizaines, voire des centaines d’espèces s’éteignent – définitivement – tous les ans. Un quart des espèces évaluées est menacé d’extinction à court terme, mais jusqu’aux deux tiers dans certains groupes. La biomasse des mammifères sauvages a déjà décliné de plus de 80 %. Mais il est possible d’enrayer ce déclin, et c’est un des rares points positifs du rapport et un message encourageant : des politiques ambitieuses de protection des espèces peuvent en effet enrayer le déclin. On sait donc comment faire, et il y a de plus en plus de « success story » sur ce plan, même dans des contextes socio-économiques difficiles. Un exemple emblématique est celui du rhinocéros blanc d’Afrique australe. Il restait à peine une vingtaine d’individus avant la mise en place d’un plan drastique de conservation il y a cinquante ans. Aujourd’hui on en compte plusieurs milliers. En France, on a l’exemple aussi du vautour fauve, qui a fait un retour spectaculaire. Mais la seule mobilisation des spécialistes ne suffit pas. Il faut aussi que ces programmes de conservation s’accompagnent d’un volet social afin de sensibiliser largement les populations à ses problématiques.

Les actions de protection sont payantes : la population de rhinocéros blanc est ainsi passée d’une vingtaine d’individus à plusieurs milliers en plusieurs décennies.

Comment les scientifiques de l’IPBES ont-ils procédé pour dresser ce constat 
F. C. Ce sont plus de 1 000 experts internationaux qui ont participé à ce travail de longue haleine. Pour chaque région du monde, nous avons évalué et synthétisé l’ensemble des publications scientifiques sur le sujet,  parues ces dernières années : plus de 15 000. Ces synthèses vont au-delà des approches centrées sur la disparition des espèces. Elles offrent pour la première fois une vision d’ensemble des menaces sur les écosystèmes, aussi bien sur les aspects écologiques que socio-économiques. Pour ce faire, nous avons compilé une multitude d’indicateurs, sur la base d’observations de terrain ou d’analyses de jeu de données et de modèles prédictifs. Tous ces indicateurs capturent différentes facettes du problème. Et tous indiquent une nette dégradation des écosystèmes.

Quels sont les principaux enseignements scientifiques qui découlent de ce travail ?
F. C. Au-delà du constat, l’évaluation globale de l’IPBES pointe la nécessité d’enrichir nos connaissances sur la biodiversité. Il faut comprendre que le tissu vivant de la Terre est aussi un des aspects les moins connus de notre planète : on ne sait pas combien d’espèces existent actuellement, les scientifiques sont loin d’avoir fini leur inventaire, et de nombreuses espèces nouvellement décrites tous les ans sont déjà menacées d’extinctions. Les connaissances de base sur ces espèces, sur leurs habitats, leurs aires de distribution, les processus écologiques et évolutifs qui les caractérisent sont encore trop peu étudiés, faute de moyens, notamment de postes de chercheurs. Les connaissances sur l’état des populations, les causes de fragilité ou de déclin et des solutions possibles sont également bien en deçà des besoins étant donné la situation préoccupante de la biodiversité.

Comment se sont déroulées les négociations qui ont réuni autour de ce rapport les représentants politiques et scientifiques de 132 États membres de l’IPBES ?

De nombreuses espèces nouvellement décrites sont déjà menacées d’extinctions. Les connaissances de base sur ces espèces, sur leurs habitats, leurs aires de distribution, les processus écologiques et évolutifs qui les caractérisent sont encore trop peu étudiés, faute de moyens.

F. C. L’ambiance durant cette semaine à Paris a été très constructive. L’esprit de consensus a prévalu et il n’y a pas eu de blocage majeur, ni de crise, malgré des négociations méticuleuses  qui duraient systématiquement jusqu’à tard dans la nuit. À aucun moment cela ne s’est transformé en une arène politique. Il faut dire qu’en amont nous avions pris le temps de faire approuver les textes par chaque gouvernement, puis, sur place, nous avons pris en compte chaque commentaire, pesant chacun des mots – et des virgules ! – du rapport. Certes, quelques pays, par la voix de leur délégué, ont parfois tenté de lisser de-ci, de-là des formulations. Par exemple, quand l’économie d’un pays dépend fortement de l’activité forestière, celui-ci peut chercher à minimiser l’impact de la destruction de l’habitat liée à la déforestation. Mais ce type de demande est toutefois resté minoritaire et in fine la voix de la raison l’a emporté. Les scientifiques et les délégations gouvernementales ont travaillé très dur, pendant des années, pour fournir au monde une évaluation globale à la fois objective, précise et solide.

Quels engagements écrits seront pris par les États membres ?
F. C. L’évaluation de l’IPBES n’a pas pour but de fournir des objectifs à atteindre aux États membres mais de mettre à disposition toutes les informations nécessaires pour que ceux-ci puissent s’en fixer de manière informée. Ils les fixeront par d’autres dispositifs, en se basant sur les informations fournies par ce rapport, et la prochaine évaluation de l’IPBES analysera les progrès vers ces prochains objectifs. La présente évaluation a par exemple quantifié l’échec d’atteinte des objectifs d’Aichi, pris par les États lors de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique en 2010.

Enfin, dans quel état d’esprit avez-vous abordé ces négociations ?
F. C. J’étais assez anxieux. Il fallait réagir collectivement à la suite de l’échec de la majorité des objectifs d’Aichi. Sur les 20 cibles que les gouvernements s’étaient alors engagés à atteindre afin de restaurer la perte mondiale de biodiversité d’ici à 2020, seulement deux ou trois seront honorés globalement et seul 5 % des pays signataires ont été à la hauteur de tous ces engagements. Il reste maintenant à prendre en compte ces constats alarmants de la destruction de la biodiversité planétaire et d’inadéquation des mobilisations politique et citoyenne, afin de changer ces trajectoires. À cet égard nous espérons que l’évaluation globale de la biodiversité de l’IPBES permettra de réveiller nos décideurs, à l’instar du Giec, qui a permis de faire prendre conscience de l’importance du changement climatique. ♦

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