Publié le 24 février 2023
La production bovine française baisse plus vite que sa consommation, nous obligeant à importer de la viande industrielle pour satisfaire la demande intérieure alors que nos éleveurs sont en train de crever.
Après la boulangerie de proximité, frappée par la crise de l’énergie, c’est au tour de la boucherie artisanale de connaître les affres du déclin, non par une baisse de la demande, en voie de stabilisation, ni de celle des vocations, limitée, mais par manque de viande française. Les effets combinés d’une hausse du prix des matières premières, d’une gestion contre nature du cheptel bovin français depuis trente ans, et des assauts permanents de la doctrine végane, jetant l’anathème sur les mangeurs de viande, ont fini par produire ce résultat calamiteux.
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La semaine dernière, c’était la volaille de plein air qui voyait ses labels de qualité poignardés par la Commission européenne. Pas si grave, se disent nos leaders politiques béats de libre-échange lorsqu’ils sont au pouvoir, les grandes surfaces et les marchands de malbouffe gagneront des parts de marché supplémentaires en inondant les rayons avec leur baguette en plastique et leur barbaque industrielle. L’important, c’est que les masses continuent de consommer ce qui enrichit les lobbies. Entre le traitement aberrant de notre patrimoine agricole bovin depuis trois décennies par des gouvernements plus soucieux de complaire au libre-échange que de défendre nos paysans et le dénigrement assidu, relayé par des médias complaisants, de la boucherie française par le dogme végan, les producteurs sont à la peine et les consommateurs lâchent prise.
SITUATION UBUESQUE
Alors qu’elle n’avait cessé d’augmenter, la production de viande accuse une baisse constante (6 % depuis 2021), plus rapide que celle de la consommation intérieure, créant une situation ubuesque qui oblige notre pays à importer de la viande étrangère pour satisfaire sa demande nationale alors que nos éleveurs de qualité sont en voie de disparition. Car si les Français consomment moins de viande depuis l’an 2000, où un pic avait été atteint avec 95 kilogrammes par an et par habitant, ils continuent tout de même à en manger régulièrement sur la base du moins mais mieux. Avec un infime sursaut de 0,6 % pour la boucherie traditionnelle, excepté la viande de bœuf, qui stagne pour les morceaux à griller (plus faciles à cuisiner) et connaît un net recul pour les morceaux à braiser ou à mijoter, qui demandent davantage de préparation.
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Pour autant, hormis quelques oasis tenues par des paysans courageux et méritants qui résistent, l’élevage français, dans sa globalité, vit une tragédie. Le prix du lait ne cesse de descendre au-dessous de son prix de production alors que le profit des industriels laitiers explose (22 milliards d’euros pour Lactalis, soit 4,2 % de croissance en 2021), tandis que les importations de l’étranger ne cessent d’aggraver la concurrence déloyale et faussée que subissent les éleveurs de France.
Qui sont les crétins, aidés par quelques salauds – il n’y a pas d’autres mots –, qui ont poussé la meilleure agriculture du monde à en arriver là ? L’hérésie historique, lancée par la FNSEA, dans un souci sincère de transformer la ferme française en usine, fut de considérer que la France élevait deux types de vaches : la vache à viande et la vache à lait… avec l’instauration de deux filières économiques, auxquelles les lois de la nature devaient se soumettre. Pour les technocrates de l’agriculture française, il y a donc des vaches qui ne font que du lait, et d’autres qui ne donnent que de la viande, et ça dure depuis cinquante ans… Ou comment se planter une fourche dans les deux pieds à la fois.
TECHNOCRATISME
Toute vache a pour aptitude biologique de donner du lait pourvu qu’elle ait été fécondée avec de la semence de taureau et ait donné naissance à un veau. Là commence sa carrière de laitière, qui s’achèvera à son tarissement. Demeurée entière, améliorée en matière de qualité musculaire par les gestations qui ont enrichi son métabolisme de mère allaitante, sa carcasse peut donc être consommée pour sa viande, dès lors que la vache a été remise à l’herbe pour engraissement. Là commence sa carrière bouchère. Voici donc un animal d’élevage nous offrant quatre ressources : du lait frais et ses dérivés frais, des fromages issus de ce lait frais, des veaux issus de la gestation ayant permis la lactation, et de la viande de qualité en fin de parcours. « Dans le cochon tout est bon » est presque dépassé…
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Ainsi fonctionna l’agriculture française jusqu’à ce que des technocrates considèrent que le secteur primaire devait, sur la logique d’une production intense, massive et rapide, au prix le plus bas, ainsi définie au lendemain de la guerre, répondre aux codes économiques du secteur secondaire. Feignant d’ignorer, ou ignorant pour de bon, que le processus agricole ne peut répondre à une logique industrielle, puisque l’on ne traite pas la nature, la terre, la végétation, soumises aux aléas climatiques et géographiques qui font que le monde est monde, comme on traite une mine de charbon, une aciérie, un train de laminoirs ou une fabrique de boulons, ces techno-gestionnaires imposèrent à nos campagnes les lois de la rentabilité financière. Non pas que l’activité agricole doive y échapper, certes non, mais le principe fondamental auquel doit se tenir l’humanité, si elle veut garantir une planète viable aux générations qui vont suivre, est : l’agriculture n’a pas pour vocation de produire, mais de nourrir. Équation sans appel qui devrait mettre le travail de la terre et de la mer nourricières à l’abri du profit strictement financier. Par Périco Légasse
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