Canicule et réchauffement climatique: c’est nous qui allons devoir changer par Natacha Polony (Marianne)

Santé-Ecologie
Publié le 1 juillet 2019
Avec la canicule de ce mois de juin 2019, on crève de chaud… mais on va aussi crever de soif ! Des risques majeurs sont à prévoir sur la production nucléaire et le pouvoir d’achat des Français. Et ce ne sont pas les gadgets proposés par les municipalités qui feront baisser le mercure des thermomètres.

La chaleur de ces derniers jours est à ce point écrasante qu’elle a écrasé à peu près toutes les autres préoccupations des Français. Voilà cinq jours que le pays vit au son des ventilateurs et que les médias se partagent entre les reportages en Ehpad et les conseils pratiques pour s’hydrater. Excessif ? On peut, bien sûr, ironiser sur le ton catastrophiste de certains, qui semblent visiblement concourir pour le prix du lanceur d’alerte version fin du monde. Libé, titrant « La chaleur de la peur », a même trouvé un expert nous prédisant des températures de 50°C en France d’ici à la fin du siècle. Mais peu importent les excès, la situation est en effet profondément inquiétante. Non pas seulement parce que le mois de juin 2019 risque fort d’être le plus chaud jamais enregistré en France, mais surtout parce que cette canicule particulièrement précoce se conjugue dans certaines régions avec un déficit en eau d’une rare ampleur. Quiconque se promène sur les bords de Loire ne peut que s’alarmer devant ces bancs de sable qui n’affleurent plus mais constituent des îles immenses au milieu du fleuve.

Sommes-nous seulement capables d’envisager les conséquences de tels phénomènes ? Les régions les plus tempérées de France, la Touraine, le Berry, l’Orléanais, affrontent des chaleurs torrides. Depuis début avril, la préfecture du Nord a imposé des restrictions d’eau dans le département. D’autres suivront cet été, avec des conséquences sur l’agriculture, les jardins… mais aussi potentiellement sur notre production nucléaire. Tout le monde a bien compris que les changements qui sont à l’œuvre auront un impact sur les paysages qui nous entourent, sur nos modes de vie, et donc sur la perpétuation de cette civilisation européenne et tout particulièrement française fondée sur le caractère tempéré du climat et le type de végétation et de culture que produit cette tempérance.

REPLÂTRAGE VERT

Quant à ceux qui vantent les capacités d’adaptation de l’homme, qui lui permettront de surmonter ces quelques degrés supplémentaires, ils semblent oublier certaines données du problème. Premier point, l’adaptation s’est faite, dans les siècles passés, au prix de violences et de morts. Les guerres à venir pour l’eau et les terres arables ne sont pas des hypothèses mais des risques majeurs. Et l’on aimerait savoir comment les bientôt 9 milliards d’habitants de cette planète se répartiront les ressources. Deuxième point, notre modernité non seulement engendre les facteurs qui déstabilisent le climat, mais également nous prive des éléments qui nous permettraient de nous en protéger. Le pavillon contemporain qui fait le cœur du modèle de développement urbanistique français, avec son petit jardin de pelouse sans arbre et ses murs fins, n’est absolument pas pensé pour supporter de telles chaleurs.

Qu’à cela ne tienne, après les ventilateurs électriques, installons la climatisation… Et rappelons simplement que la France est championne d’Europe et numéro deux mondial du nombre de piscines privées. Une aberration. A l’échelle des villes, le problème est tout aussi patent. Les villes modernes, conçues à partir d’un plan rationalisé, perpendiculaire, protègent beaucoup moins de la chaleur que les villes anciennes, avec leurs rues anarchiques. Sans parler de ces places rénovées sur un modèle unique, la dalle grise et minérale, façon pierrade, avec, pour le rafraîchissement des badauds, un espace pédiluve avec micro geysers auras du sol. Les « forêts urbaines » promises par la maire de Paris auront sans doute autant d’effet que ses murs végétalisés et les végétaux hors sol, totalement incapables de jouer le rôle de pôle de fraîcheur de véritables espaces verts. Et pour y circuler, des trottinettes électriques, « mobilité douce » aux batteries bourrées de métaux rares non recyclables, et dont la durée de vie, mesurée en Arkansas, est de vingt-huit jours… Moins que celle d’un moustique.

Troisième point, l’économie numérique qui doit remplacer l’industrie, tellement polluante et « ancien monde », fonctionne grâce à des data centersdont la consommation électrique pour la climatisation et les systèmes de refroidissement représentait en 2015 4 % de la consommation mondiale, en croissance de 5% par an. Si le stockage des données s’améliore un peu, il ne compense pas l’augmentation du trafic et le coût du dernier kilomètre : la 4G consomme 23 fois plus que le WiFi. On attend avec impatience la 5G… Dans l’affolement généralisé, les mesures annoncées chaque jour par les ministres, circulation alternée et gentils conseils d’hydratation, ont ceci de ridicule qu’elles ne changeront strictement rien aux causes profondes du dérèglement climatique et du déficit hydrique, qui relèvent de notre modèle de développement, fait de consumérisme frénétique et de productivisme agricole. Les réponses existent : agroécologie, investissement massif dans des bâtiments isolés du froid mais aussi de la chaleur, et surtout relocalisation massive de l’économie. En attendant, les faussaires du replâtrage vert continuent à nous vendre le changement dans la continuité.

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