A l’heure où l’Amazonie brûle, alerte sur les forêts françaises.

Santé-Ecologie
Publié le 28 août 2019
La surface forestière française a doublé en deux siècles. Mais en dépit de son insolente santé apparente, à l’heure où le monde a les yeux braqués sur l’Amazonie, des professionnels pointent les risques pour nos forêts – notamment à cause du sapin Douglas – et craignent que la politique forestière soit peu à peu remise en cause.
(Source: Marianne, 27/08/2019)

Rarement l’état d’une forêt aura autant occupé la Une des journaux. Victime de violents incendies ayant entraîné la disparition en fumée de plus de 950.000 hectares, l’Amazonie est au centre de toutes les discussions. Alors que le monde a les yeux braqués sur l’Amazonie, la forêt française affiche, elle, une progression presque insolente. Depuis le XIXème siècle, la surface forestière a même doublé.

A la mi-juillet, un article du magazine The Economist saluait même le « quatrième pays le plus boisé de l’Union européenne, après la Suisse, la Finlande et l’Espagne ». L’hebdomadaire britannique, pourtant si prompt d’habitude à critiquer son voisin français, remarquait que la surface occupée par les forêts françaises avait augmenté de 7% depuis les années 1990. Mais la France n’est pas exactement irréprochable, que ce soit en Guyane… ou dans les forêts hexagonales.

UN HÉRITAGE DE NAPOLÉON III

« Cette progression est particulièrement frappante dans un contexte mondial de déforestation, note Sandrine Chauchard, enseignante-chercheuse à l’université de Lorraine en écologie des communautés, elle s’explique par une politique française de gestion des forêts comme un bien collectif qui date du XIXème siècle, avec la création pendant le consulat de l’ancêtre de Office national des forêts (ONF), l’administration générale des forêts ». Sous l’impulsion de Napoléon III, la France reboise son territoire. « Cette reforestation connaît un regain après la Seconde guerre mondiale« , poursuit la chercheuse.

Délaissées par les agriculteurs à la faveur de l’automatisation, des parcelles entières sont reconquises par la nature, en particulier dans les régions montagneuses du sud de la France. Au total, les zones forestières françaises ont doublé depuis les années 1820. « Il faut mettre ces chiffres en perspective,nuance Patrice Martin, garde forestier dans le Jura. Beaucoup des surfaces aujourd’hui qualifiées de « forêts » dans le cadastre ne sont en réalité que des friches et des prairies abandonnées. Il faudra beaucoup de temps avant de pouvoir les considérer comme telles. »

LA PASSION DE LA MONOCULTURE

Membre du Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel (SNUPFEN), Patrice Martin est loin de partager la vision enthousiaste des forêts françaises présentée par nos voisins britanniques. En septembre et octobre dernier, il a organisé une marche des forestiers à travers la France pour alerter contre la « marchandisation » du patrimoine forestier. « Au départ, l’Office national des forêts est censé avoir trois services : l’exploitation de la forêt, sa gestion, et l’accueil du public. Ces deux dernières missions sont en train de disparaître au profit d’une industrialisation des forêts », regrette-t-il.

Dans son viseur : le remplacement des forêts naturelles par des plantations « intensives » en monoculture, dont les arbres sont, à terme, destinés à être coupés et vendus. « Le meilleur exemple de cette tendance est la multiplication des sapins Douglas : ils ont d’abord été plantés dans la forêt des Landes, mais on en trouve aujourd’hui dans le Limousin ou encore dans le Morvan ». Venant d’Amérique du Nord, le sapin Douglas pique depuis les années 50 l’intérêt des forestiers et des industriels. « Ils ont une croissance rapide et fournissent un bois qui n’a pas besoin d’être entretenu en extérieur, ce qui le rend parfait pour sa commercialisation », note Brigitte Musch généticienne au département recherche et développement de l’Office national des forêts (ONF).

LE FLÉAU DU SAPIN DOUGLAS

Mais la plantation de ce bois enchanteur pose problème à nombre de forestiers : « La monoculture est souvent plus vulnérable dans son ensemble aux champignons, qui peuvent faire des ravages sur une seule forêt », avance Patrice Martin. Pas de quoi rassurer, alors que 17% des forêts françaises ne comptent qu’une seule essence. Autre grief : l’atteinte à la biodiversité. « Un arbre, c’est un écosystème à lui tout seul, avec ses insectes, ses bactéries, ses champignons, ses oiseaux, poursuit-il. On se prive de forêts avec des feuillus, des conifères, des centaines d’espèces différentes, et la diversité qui va avec ». D’autant que l’exploitation intensive des sapins de Douglas affecte aussi les sols : « Les coupes rases à répétition tassent la terre et l’empêchent de respirer. C’est désastreux pour les espèces en sous-sol comme les vers de terre« , ajoute le forestier.

L’exploitation de forêts de sapin de Douglas ne couvre actuellement qu’entre 3 et 5% de la totalité de la surface forestière. Mais selon le syndicaliste, celle-ci pourrait être amenée à s’accroître. Car depuis le début des années 2000, le budget de l’Office national des forêts diminue. L’ONF compense donc le manque à gagner en partie par la vente de bois. Or, « en 40 ans le volume récolté dans les forêts domaniales a augmenté de 29 % mais la recette correspondant à cette récolte a baissé de 40 % », constatait l’intersyndicale de l’ONS dans un rapport publié en avril 2018. A cela s’ajoute des diminutions d’effectifs : les quelque 15.900 employés du milieu des années 80 sont à présent 9.000.

MANQUE DE MOYENS

L’ONF est loin d’être le seul organisme forestier dans la difficulté. Son pendant responsable des forêts privées, le Centre national de la propriété forestière (CNPF) n’est pas en reste. Début août, les élus de l’organisme responsable de près de 75% des forêts françaises s’alarmaient de la forte baisse de la taxe additionnelle à la taxe foncière sur les propriétés non bâties : « Nous sommes déjà en effectifs restreints : 465 personnes s’occupent de 12,6 millions d’hectares de forêts. Comment voulez-vous que les forêts soient préservées correctement si nos moyens sont encore réduits ? », glisse un membre de l’organisation. Une situation qui suscite l’incompréhension des forestiers : « Emmanuel Macron a affiché une volonté très forte de préservation de la forêt ces derniers jours, mais ce ne sont que des discours, assène avec amertume Patrice Martin. La forêt est redevenue un territoire d’où l’on veut tirer un maximum de profit ».

D’autant que l’exploitation des zones forestières ne se limite pas qu’à l’Hexagone. Si, ces derniers jours, Emmanuel Macron s’est positionné en défenseur de la forêt, qualifiant la France de « puissance amazonienne », la réalité du terrain est plus complexe. En témoigne la tribune, publiée ce dimanche sur le site de France info, du Grand conseil coutumier des peuples amérindiens et bushinengué. Ce dernier y déplore ainsi :  » Le véritable problème est politique et économique, et est soutenu par la majorité des dirigeants au niveau mondial »« Le feu n’est pas le seul danger qui menace ou qui détruit l’Amazonie », poursuit-il, pointant en premier lieu « l’extractivisme » :« Nous sommeS dans l’étonnement face au positionnement » d’Emmanuel Macron qui « attribue 360.000 hectares de forêts aux multinationales minières en Guyane, en Amazonie française ».

LES FORÊTS VULNÉRABLES AU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Dernier cas médiatique en date : le projet de la Montagne d’or, dont la construction devait engloutir au minimum 2.000 hectares de forêts tropicales primaires. Bien qu’abandonnée en mai dernier, son ouverture est loin d’être la seule portée par l’exécutif français. Au début du mois, un permis d’exploration exclusif a été délivré sur les communes de Régina et Ouanary, à l’est du territoire guyanais. Ce discret arrêté du ministère de l’Economie et des Finances, paru au Journal officiel le 3 août, donné à la société Sand Ressources, couvre cinq mille hectares de terres.« La protection de la forêt guyanaise est une réussite, assure Patrice Martin. Elle constitue 80% de la biodiversité française. Mais même si les projets miniers les plus médiatiques ont du plomb dans l’aile, la volonté de préservation de la forêt se heurte souvent au désir d’exploitation de ces territoires ».

Fragilisé par l’exploitation industrielle, le parc forestier français doit aussi désormais faire face au changement climatique. « Un seul degré d’élévation de température équivaut à des changements de conditions de 250 kilomètres de latitude, note Gilles Brouillet, directeur adjoint du CNPF. Deux degrés, et le changement est de 500 kilomètres. » Les risques d’incendies se multiplient : « Des incendies de forêts jusqu’ici typiquement circonscrits au sud de la France se répandent plus en avant dans le territoire », poursuit-il. Le remède à cette situation ? « Il va falloir faire des tests, poursuivre les expériences pour adapter les forêts à ces changements rapides, note Brigitte Musch. Surtout, il faut une prise de conscience générale sur l’importance des forêts. Elles sont capitales pour notre avenir ». Qu’elles se trouvent en Amazonie ou ailleurs.

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