Santé-Ecologie
Publié le 6 septembre 2020
Depuis l’Accord de Paris, les banques ont investi 154 milliards de dollars à des entreprises qui rasent l’Amazonie et quelques poumons verts. Dans le Top 10 des « financeurs », une française : BNP Paribas.
L’expression « l’argent est le nerf de la guerre » peut s’employer pour bien des domaines, y compris aujourd’hui pour l’écologie. De nombreuses batailles ont lieu au cœur des forêts tropicales et le capital financier, distribué sous forme de crédit, d’assurance ou d’investissement, est un moteur essentiel de la déforestation. C’est en tout cas la conclusion d’une étude menée par « Forests and Finance », une coalition d’ONG et d’instituts de recherches[1]. Ces lanceurs d’alerte verte ont remonté les sources de financement des activités liées à la déforestation dans les trois principaux bassins forestiers tropicaux du monde : l’Asie du sud-est, le Brésil et l’Afrique (ouest et centrale).
Entre 2016 et avril 2020, les banques ont accordé 154 milliards de dollars de crédit à des sociétés qui exploitent la forêt (bois et caoutchouc) ou installent des activités agricoles – bétail, soja, pâte à papier, huile de palme – sur les terres déboisées. Les banques prêtent d’un côté et investissent de l’autre : selon la même étude, les investisseurs détiennent également 37 milliards de dollars en actions dans ces sociétés. « Nous avons débuté notre enquête en 2016 juste après l’Accord de Paris en décembre 2015, et la promesse d’un engagement mondial pour la préservation des forêts. Or nous voyons que le montant des crédits dans ces trois bassins a en réalité augmenté de 40 % depuis la signature de l’accord », explique Merel van der Mark, coordinatrice de la coalition « Forests and Finance ».
Elle note que « malgré les engagements des États et des entreprises, la perte de couverture forestière tropicale a presque doublé au cours des dix dernières années ». Elle s’est même accélérée l’an dernier avec la disparition vertigineuse de 11,9 millions d’hectares de forêts tropicales. Quelle responsabilité les banques ont-elles dans ce résultat ? « On ne peut pas dire qu’elles sont directement responsables de la déforestation mais il est évident que les banques pourraient être des acteurs clef pour freiner la détérioration des forêts si elles mettaient en place des critères écologiques pour attribuer les crédits », estime encore Merel van der Mark.
L’AMAZONIE EN PREMIER
Dans ce panorama, le Brésil fait figure de très mauvais élève. C’est en Amazonie donc que les banques investissent le plus et le plus mal. On considère que l’élevage de la viande bovine est responsable de 80% de la déforestation en Amazonie et c’est justement dans ce secteur que les banques accordent le plus de crédits ; à hauteur de 41 milliards de dollars selon l’étude. « Historiquement, la déforestation dépend de deux facteurs : la politique et le marché. En ce moment au Brésil, nous avons une combinaison très défavorable : un président qui soutient ouvertement la déforestation et un prix de la viande de bœuf qui a augmenté de 58% ces deux dernières années. Donc la déforestation explose car c’est très rentable d’investir et que la politique soutient ces investissements », considère Paulo Barreto, chercheur à l’Institut scientifique Imazon.
Tout en haut de la liste des mauvais créditeurs mondiaux, se trouve la banque semi-publique brésilienne « Banco do Brasil » avec 30 milliards de dollars de crédit accordés. En deuxième position, une autre banque brésilienne, privée cette fois, la banque Bradesco, avec 7,5 milliards de dollars. Ces établissements offrent d’autant plus facilement du crédit que l’État en finance une partie via un programme dénommé « crédit rural ». Les banques européennes figurent aussi dans ce triste tableau avec une mention particulière pour la banque néerlandaise Rabobank avec un financement égal à 6,3 milliards de dollars.
HUILE DE PALME ET CAOUTCHOUC POUR LES BANQUES ASIATIQUES
En Asie du sud-est (Indonésie, Malaisie, Thaïlande, Cambodge, Laos, Vietnam) c’est sans grande surprise et essentiellement pour produire de l’huile de palme qu’on coupe la forêt. Là encore la diminution est spectaculaire en particulier en Indonésie avec 25 millions d’hectares de couverture forestière perdus en deux décennies. Le secteur de l’huile de palme a concentré 82% de tous les investissements dans la région et a reçu 29 milliards de dollars de crédits, toujours sur la période 2016-2020. Ces crédits viennent des banques de la région (en particulier de Malaisie et d’Indonésie) et ont été dans l’immense majorité attribués aux géants indonésiens du secteur, « sans aucun critère écologique et social » selon la coalition.
On retrouve argent et entreprises asiatiques en Afrique de l’Ouest et centrale. Dans cette région (Cameroun, Gabon, Nigeria, Liberia, République démocratique du Congo, Sierra Leone, Côte d’Ivoire et Ghana), les crédits accordés sont moins importants mais la destruction qui en résulte est toute aussi préoccupante. Les banques, essentiellement chinoises, ont financé à plus de 90% les plantations d’hévéa pour produire du caoutchouc pour des groupes aussi d’origine asiatique : les groupes chinois Sinochem et COFCO et le groupe Singapourien Olam.
ET LES BANQUES FRANÇAISES DANS TOUT ÇA ?
Et les banques françaises dans tout ça ? Sont-elles respectueuses de la forêt ? Pas vraiment, avec en tête du peloton la banque BNP Paribas, classée à la sixième position des 15 « pires créditeurs de la planète » avec 4,9 milliards de dollars de crédits accordés dans ces trois régions et 36 millions de dollars investis dans des sociétés liées à la déforestation. Vient ensuite le Crédit agricole avec 806,9 millions de dollars de crédits accordés et 127 millions de dollars d’investissement (dont 50 millions dans la pâte à papier).
Enfin la BPCE Group a accordé 671 millions de crédits et a investi 28 millions de dollars. A cela, le chercheur Paulo Barreto ajoute pour le Brésil, les grands groupes de distribution français qui selon lui, jouent aussi un rôle clef dans la déforestation en Amazonie. Si la viande brésilienne est à plus de 86% consommée au Brésil, elle est vendue par quatre grands groupes de distribution étrangers dont deux sont français : Carrefour et Casino. « Ces groupes sont capables de mettre en place des critères de traçabilité et éviter de vendre la viande produite en Amazonie », considère le chercheur. Les compétences sont en effet là, reste à trouver la volonté politique de le faire.
[1] Rainforest Action Network , TuK INDONESIA, Profundo, Reporter Brasil, Amazon Watch et BankTrack
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