Santé-Ecologie
Publié le 21 janvier 2021
Les sons, mais aussi les odeurs du monde rural sont sur le point d’être protégés par le code de l’environnement comme appartenant au « patrimoine sensoriel » français. Déjà adoptée par l’Assemblée, une proposition de loi en ce sens doit être votée par le Sénat ce jeudi 21 janvier.
Dans Les Cloches de la terre, l’historien Alain Corbin s’était penché sur l’étude du « paysage sonore » de la campagne. La loi pourrait bientôt reconnaître le tintement de ces cloches comme des éléments à part entière « patrimoine commun de la nation« . Les sons, mais aussi les odeurs du monde rural sont sur le point d’être protégés par le code de l’environnement comme des éléments constitutifs de notre identité commune. Une proposition de loi en ce sens, déjà examinée par l’Assemblée nationale et par la commission de la culture du Sénat, a de fortes chances d’être adoptée par la chambre haute ce jeudi 21 janvier.
Cette proposition trouve son origine dans la multiplication ressentie – mais pas constatée par le rapporteur du texte au Sénat, Pierre-Antoine Levi – de litiges pittoresques entre voisins à propos « de crottins de cheval à Orschwihr dans le Haut-Rhin« , de « chants des cigales au Beausset dans le Var« , de « coassements de grenouilles à Grignols en Dordogne » ou encore de « cancanements de canards et d’oies à Soustons dans les Landes« , dont certains estiment qu’ils troublent leur tranquillité.
CARTE D’IDENTITÉ
« Si le nombre d’affaires judiciaires relatives aux conflits de voisinage portant sur les sons et odeurs en milieu rural est constant« , Pierre-Antoine Levi a constaté que « le sentiment d’un accroissement des sollicitations ou interpellations sur ces sujets » allait croissant chez les élus locaux. De sorte que les parlementaires ont jugé utile de « définir des éléments objectifs pouvant utilement soutenir les élus locaux des territoires ruraux dans leurs démarches de pédagogie et de médiation« .
« L’élaboration d’une carte d’identité des territoires ruraux, incluant le patrimoine dans toutes ses composantes, y compris sonores et olfactives, doit permettre une meilleure compréhension et appréhension de ces espaces par l’ensemble de ses habitants« , explique encore le rapport de Pierre-Antoine Levi. Soit, mais comment ça marche ? Qui, et surtout comment, choisit-on les sons et odeurs ayant une valeur patrimoniale ? Comment les conserve-t-on ? Sur le papier, c’est « aux services régionaux de l’inventaire général du patrimoine culturel » que revient la « mission d’identification et de qualification de l’identité culturelle – incluant l’identité sensorielle – des territoires ruraux« .
CONFRONTATIONS
L’application concrète de cette proposition de loi reste toutefois encore assez nébuleuse : « L’inventaire du patrimoine va permettre de donner une typologie des territoires« , nous explique Pierre-Antoine Levi. Autrement dit, la cartographie des campagnes doit permettre de déterminer des zones dans lesquelles il est considéré comme normal que tel bruit ou telle odeur existe à cet endroit. De sorte que l’acheteur d’une maison à la campagne ne pourra par exemple espérer gagner une procédure judiciaire visant à faire cesser les désagréments liés à la vie agricole d’une exploitation voisine. Problème : la méthode de recensement reste très floue,
« Cette loi c’est une loi de protection de nos campagnes, mais c’est également un code de bonne conduite entre citadins et ruraux, entre ruraux et néoruraux« , assure Pierre-Antoine Levi. Soit, mais pourquoi s’être encombré, pour faire cesser ce contentieux, de la notion de patrimoine, induisant implicitement des obligations de protection et de conservation, et si difficile à appliquer dans le cas de bruits et d’odeurs immatérielles ? « On considère que le patrimoine peut être de différentes natures. Cette proposition vise à faire reconnaître ce patrimoine sensoriel, à l’identifier sans qu’il entraîne forcément une protection, avance Pierre-Antoine Levi, attaché à la dimension symbolique du texte. Ça ne va pas entraîner des obligations, ça va calmer les confrontations sur le terrain. » Il n’en reste pas moins que les services régionaux chargés des inventaires risquent fort de se sentir comme une poule ayant trouvé un couteau au moment de devoir discerner le bêlement patrimonial du bêlement ordinaire.
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