Publié le 27 juin 2018
Jeunes hirondelles de fenêtre au nid. Depuis 2008-2009, les déclin des oiseaux des champs est de plus en plus marqué. Cela correspond à la flambée des cours du blé et à la généralisation des insecticides neurotoxiques très persistants. Photo Christian Décout. Biosphoto
Source: http://www.liberation.fr/auteur/18681-philippe-j-dubois
C’est la première fois. La première fois depuis quinze ans pour l’un, quarante ans pour l’autre, que nous travaillons dans la protection de l’environnement, que nous entendons cela. Dans notre réseau professionnel et amical, des directeurs de grandes associations naturalistes, des responsables de réserves naturelles nationales, des naturalistes de terrain sont de plus en plus nombreux à le dire, en «off» : «C’est fichu !» Ils n’y croient plus. Pour eux, les politiciens, les industriels mais aussi le grand public, personne ne comprend la catastrophe environnementale qui s’est enclenchée.
Ils continuent la lutte car il faut bien le faire, mais au fond, ils pensent que l’homme ne pourra pas faire machine arrière, c’est terminé. Nous courons à notre perte.
Quand on a, comme nous, consacré sa vie à la protection de l’environnement, de tels discours font froid dans le dos. Jusqu’ici, nous autres naturalistes, pensions que nous arriverions un jour à faire bouger les choses, à faire prendre conscience à l’humanité de son autodestruction. Mais si même nous n’y croyons plus, qui y croira ?
Ce printemps est un printemps vide. Les hirondelles, il y a encore quelques années très communes dans les villages, sont en train de disparaître à grande vitesse. On savait qu’on risquait de perdre un jour les éléphants. Que les guépards suivaient la même piste. Mais personne n’aurait imaginé que nous perdrions aussi les hirondelles, en même temps que les abeilles. Est-ce vraiment cela dont nous voulons ? Un monde sans éléphants, sans hirondelles ? Sans abeilles ? Aujourd’hui, plus de 12 000 espèces sont menacées d’extinction (et sans doute bien plus, certaines étant encore inconnues de la science). Depuis combien de temps n’avez-vous pas vu un hérisson autrement que sous forme de cadavre en bordure de route ? Depuis combien de temps n’avez-vous pas vu un hanneton butiner la haie fleurie au fond du jardin ? Ces animaux étaient communs, il y a encore peu de temps. Et plus besoin de nettoyer la calandre de la voiture après un long voyage. Il n’y a quasiment plus d’insectes écrasés dessus…
Les apiculteurs constatent un effondrement sans précédent au niveau des abeilles et des insectes pollinisateurs en général, avec toutes les questions agricoles et environnementales que cela pose. Comment allons-nous continuer à produire des fruits et des légumes sans insectes pollinisateurs ?
Dans le milieu des agriculteurs sensibles à l’environnement, une autre inquiétude est bien présente, depuis quelques années maintenant : les risques de grandes famines à venir, dues à l’agriculture industrielle, à la surexploitation des sols, à l’érosion et à la diminution des terres agricoles.
Contrairement à certains de nos amis naturalistes et scientifiques, nous espérons qu’il est encore possible pour l’homme de réagir, de se sauver, et donc de sauver ses enfants. Mais seulement si nous réagissons maintenant. Chaque jour, chaque heure compte désormais dans le compte à rebours.
Certains journalistes ont une grande part de responsabilité dans ce qui est en train de se passer, eux, qui sont censés donner l’alerte, eux, qui sont au courant des chiffres terrifiants de la situation écologique. Eux qui, lors des interviews des hommes politiques, ne posent presque jamais de questions sur l’environnement. Eux qui préfèrent consacrer des journaux entiers à des faits divers et autres informations malheureusement tellement dérisoires au regard de ce qui est en train de se jouer pour l’humanité.
Nous continuons de nous regarder le nombril, pendant que tout s’effondre autour de nous.
A chaque fois qu’un naturaliste essaie d’alerter l’opinion publique, on lui retourne qu’il est «moralisateur» ou «culpabilisant». Dirait-on à un assistant social qui explique à des parents mettant en danger leurs enfants l’urgence de changer de comportement qu’il est «moralisateur» ? Qu’il est «culpabilisant» ? Alors pourquoi, sur l’environnement, avons-nous le droit de mettre en danger l’avenir des enfants ? Pourquoi avons-nous le droit de leur donner à manger des aliments gorgés de pesticides ? De respirer un air pollué ?
Il est possible de retourner la situation, si ceux qui nous gouvernent et si les journalistes, qui doivent alerter l’opinion, prennent leurs responsabilités. Aujourd’hui, les politiques accouchent de «COP 21» médiatiquement parfaites mais dont les objectifs (inatteignables) font grimacer la communauté scientifique tant ils sont désormais irréalistes et non soutenus par des actions concrètes. C’est à nous citoyens qu’il appartient de montrer le chemin, en faisant pression pour que l’environnement devienne une priorité absolue.
On rétorque depuis des années aux scientifiques et aux naturalistes qu’ils sont «anxiogènes». Mais ce n’est pas d’alerter, ce n’est pas de parler du problème qui est anxiogène. C’est de laisser faire les choses sans réagir, alors qu’on a encore quelques moyens d’agir. Ce qui est anxiogène, ce sont les résultats d’études scientifiques qui s’accumulent depuis des décennies et qui vont aujourd’hui tous dans le même sens de l’accélération et de l’irréversibilité.
Nous devons urgemment apprendre à vivre avec mesure. Avant de se demander quelle énergie utiliser, il faut faire des économies d’énergie. Nous sommes dans une surconsommation énergétique, à l’échelle de la société comme à l’échelle individuelle. Cela pourrait être changé.
Nous devons aussi nous remettre à réfléchir à un thème banal dans les années 80 et devenu au fil du temps complètement tabou : la surpopulation. La société française reste profondément nataliste, tout comme le reste de la planète. Nous serons bientôt 8 milliards d’êtres humains sur Terre, engloutissant toutes les ressources.
Pourquoi faire autant d’enfants si c’est pour leur laisser une planète ravagée et l’impossibilité d’avoir une vie correcte ? A l’heure des enfants rois, nous leur faisons le pire des cadeaux : un environnement dévasté, une planète à bout de souffle.
Ne pourrions-nous pas faire preuve d’intelligence, nous, qui nous sommes hissés de facto au sommet de la pyramide du vivant ? Faire de deux domaines porteurs et concrets, l’alimentation bio et l’écoconstruction, des urgences prioritaires. Arrêter la course à la surconsommation. Réfléchir à notre façon de nous déplacer. Adhérer aux associations de protection de la nature. Ces dernières sont toutes extrêmement fragiles. Elles œuvrent à protéger l’humanité, mais leurs (maigres) subventions sont en permanence réduites, quand elles ne sont pas coupées. Cela demande un courage réel que de non plus changer de logiciel de vie, mais plutôt le disque dur de nos existences.
Nous appelons le gouvernement à écouter désormais Nicolas Hulot et à lui laisser la place et la marge de manœuvre promises. Nous sommes au-delà de l’urgence. Ceux qui auront contribué à la destruction de la nature, et donc des hommes, seront accusés, et peut-être même qui sait un jour jugés, pour «crime contre l’humanité». Car plus que la planète encore, c’est l’homme qui est aujourd’hui en danger.
Philippe J. Dubois est l’auteur de : Syndrome de la grenouille et de la Grande Amnésie écologique.
Elise Rousseau est l’auteure de : Mais pourquoi j’ai acheté tout ça ?! Stop à la surconsommation.
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