Publié le 13 janvier 2019
Dans une ode à la beauté d’un village gascon et de sa campagne environnante, promise à disparaître devant l’installation d’une porcherie industrielle, la plume d’un enfant du pays appelle à agir pour sauver la nature sublime autant que les pauvres bêtes du futur élevage.
« Un Fleury-Mérogis des cochons à Ossun » par Christian Laborde, écrivain (Publié le 13/01/2019 sur Marianne)
Je suis amoureux, depuis belle lurette, de la départementale 936. Je la sillonne sur mon vélo, savourant son goudron granuleux qu’ignorent les arrogantes roues des 4 × 4 incultes. Elle coupe en deux la Lanne Mourine (1) sur laquelle se posent les avions de l’aéroport Tarbes-Ossun-Lourdes, semblables à ceux qui font rêver Véronique Jannot, dans Aviateur, fraîche chanson signée Voulzy et Souchon. Elle traverse ensuite le village d’Ossun où naquit l’écrivain Paul Guth. Je m’arrête, déguste un pain aux raisins, repars. Je passe au pied de la chapelle de Bellau [Saint-Joseph au Buala ?] – celles des processions d’autrefois – et, tout à coup, la départementale 936 se cambre façon Laetitia Casta : voici la côte de Miramontès. A 100 m du sommet, un panneau me signale un « danger » : des chevaux pourraient traverser. Qu’ils viennent, les chevaux, qu’ils m’entourent ! Ah, les chevaux, le nuage de leur haleine dans le matin froid ! Me voici au sommet, toujours sur la commune d’Ossun, à la naissance du plateau de Ger, territoire du vent, tarmac des oiseaux qui restent.
Et là, devant moi, lacérant la paix qui palpite, un placard préfectoral annonçant la construction d’une porcherie industrielle de 6 000 porcs, un Fleury-Mérogis des cochons au pays du porc noir de Bigorre. L’abominable projet est porté par une escouade d’agents de l’agrobusiness, encouragé par les génies de la chambre d’agriculture des Hautes-Pyrénées, promu par la Fédération nationale pour la séquestration et l’esclavage des animaux (FNSEA). L’horreur est là, les députés des Hautes-Pyrénées ne bronchent pas. Il est vrai que, selon l’association L214 et son site Politique-animaux.fr, ils font partie de cette majorité de parlementaires qui, par leurs votes successifs, « penchent ou agissent contre les animaux ».
Les bêtes, parlons d’abord des bêtes, des 6 000 porcelets qu’ils enfermeront dans le Fleury-Mérogis d’Ossun ! Ils ne verront jamais la lumière du jour sauf, un matin, à travers le grillage empoussiéré des bétaillères qui les conduiront, tremblant de fièvre et de peur, à l’abattoir de Pau où ils seront abattus, probablement dans ces conditions atroces, dont des vidéos tournées clandestinement ont révélé l’existence aux téléspectateurs horrifiés. L’abattoir, maintenant on sait. Le transport cruel des bêtes assoiffées dans l’acier surchauffé des monstrueux camions doit être, à son tour, dénoncé. La philosophe Elisabeth de Fontenay, auteur de l’essai le Silence des bêtes (2), s’en chargeait, il y a peu, à la radio. Bouleversée, elle s’interrogeait : qui sommes-nous, que devenons-nous en agissant de la sorte ?
LA NATURE BAFOUÉE
Où naîtront-ils, ces 6 000 porcelets que l’on va engraisser dans le Fleury-Mérogis d’Ossun ? Dans des porcheries obscures, où des truies gavées de médicaments et condamnées à la gestation permanente les mettront au monde, où ces mêmes truies, couchées sur le flanc, maintenues dans cette position par des barreaux de fer et souffrant d’inflammation persistante des mamelles, les allaiteront avant d’être conduites, épuisées, à leur tour à l’abattoir ou, malades, de crever sur place. Pour être admis au Fleury-Mérogis d’Ossun, les porcelets devront impérativement être sevrés. Tout paysan le sait : sevré, le cochon l’est au bout de trois mois. La nature l’a voulu ainsi, n’importe quelle truie le confirmera.
Mais les lois de la nature et des animaux, les hommes de main des Vanderdendur de l’agro-business les refusent, ne voyant en elles qu’entraves à la liberté de produire de la viande et de remplir les caisses. Il a donc été décrété par ces gougnafiers dont la liesse ne saurait naître que de la contemplation des liasses, la chose suivante : un porcelet est sevré au bout de vingt-quatre jours. Agé de 24 jours à peine, le porcelet entrera dans le Fleury-Mérogis d’Ossun, après avoir été préalablement toiletté. Le toilettage consiste dans le meulage, à vif, des molaires, et dans l’ablation, sans anesthésie, de la queue. Ce toilettage est indispensable à la vie en communauté au sein du Fleury-Mérogis d’Ossun. Queues coupées, dents meulées, les porcelets ne pourront ni mordre ni se blesser (3).
Dans le Fleury-Mérogis d’Os-sun, les 6 000 porcelets disposeront chacun de 0,42 m2 pendant quatre semaines, puis de 0,75 m2 pendant sept semaines. Bref, le QHS juste avant la bétaillère et l’abattoir. Mais qui songerait à se lamenter sur le cochon ? Cet animal, il est vrai, a mauvaise presse : l’obsédé sexuel n’est-il pas un « cochon » ? On médit beaucoup du cochon dans ce pays, et tout autant des fleurs. Quiconque pense bassement ne se place-t-il pas « au ras des pâquerettes » ? Pauvre nature, pauvres fleurs, pauvres animaux : soit nous les insultons, soit nous les martyrisons.
Les bêtes vont souffrir au Fleury-Mérogis d’Ossun, et les vétérinaires se tairont. Jamais, de leur part, la moindre déclaration, la moindre pétition, le moindre communiqué pour dénoncer la cruauté des Vanderdendur de l’agrobusiness à l’endroit des bêtes d’élevage. Qu’attendent-ils, les vétérinaires, pour aller manifester, à Tarbes, au nom des animaux, devant une préfecture qui a déjà donné son feu vert à la construction d’une porcherie de 5 000 porcs, à 30 km d’Os-sun, à Trie-sur-Baïse, très exactement ? Pourquoi se taisent-ils, les vétérinaires ? De quoi ont-ils peur, les vétérinaires ? Sans doute considèrent-ils, eux aussi, qu’existent trois catégories d’animaux : les animaux de compagnie que l’on câline, les animaux sauvages que l’on extermine et les animaux d’élevage que l’on abandonne aux mains de leurs bourreaux.
LE PLATEAU DE GER NE SERA BIENTÔT PLUS QU’UN LAC DE LISIER
Les bêtes d’abord, les paysages maintenant, le plateau de Ger qui va morfler un max. Le Fleury-Mérogis d’Ossun, c’est une consommation folle d’eau – 22 m3 par jour – et, partout, sur chaque prairie, l’épandage du lisier. Mort des ruisseaux, empoisonnement des nappes phréatiques, virus, maladies. Une porcherie de 20 000 porcs devant être également construite à Escoubès, à quelques bornes à peine d’Ossun, le plateau de Ger ne sera bientôt plus qu’un lac de lisier, une terre de puanteur. Et la départementale 936, un couloir à camions et à bétaillères.
Il faut sauver les porcelets, le plateau de Ger et le village d’Ossun. Que les paysans d’Ossun s’opposent à la construction du Fleury-Mérogis d’Ossun, et, brandissant leurs fourches, défendent le seul type d’élevage qui sied aux bêtes, au porc noir de Bigorre en particulier : l’élevage fermier. Que le curé d’Ossun monte en chaire et, dans un prêche destroy divin, un flow d’enfer, hurle : « Non à la porcherie ! » au nom de saint François d’Assise, frère du soleil, des mouches, des abeilles, des vers luisants, des sauterelles et des cochons.
LES MOTS DE LA COLÈRE
Que les instituteurs d’Ossun lisent aux élèves de l’école Paul-Guth des vers des poètes, des pages des écrivains, des textes des philosophes qui célèbrent la beauté et la présence auprès de nous des animaux. Qu’ils choisissent, pour la dictée, ces quelques lignes écrites par Paul Claudel à propos de la truie : « Son flanc est plus obscur que les collines qu’on voit au travers de la pluie, et quand elle se couche, donnant à boire au bataillon de marcassins qui lui marche entre les jambes, elle me paraît l’image même de ces monts qui traient les grappes de villages attachées à leurs torrents, non moins massive et non moins difforme » (4).
Il faut sauver les porcelets, le plateau de Ger, la commune d’Ossun, les paysages sculptés par des générations de paysans, la côte de Miramontès, les chevaux dans la côte de Miramontès, la départementale 936.
A Ossun, vieux village gascon de la République française, les mots de la colère sont espagnols :
no porcharan (5).
(1) La lande des Maures.
(2) Fayard, 1998.
(3) Dans l’élevage carcéral, les cochons n’ont plus de queue, et les vaches, pour les mêmes raisons, plus de cornes. En France, les veaux sont écornés à moins de 4 semaines. Les cornes naissantes sont détruites au moyen d’un fer brûlant – cautérisation par la chaleur – ou d’une pâte caustique – cautérisation chimique. Sans anesthésie évidemment.
(4) Le Bestiaire spirituel, Mermod, 1949. (5) L’association No porcharan s’oppose à la construction de la porcherie.
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