EPR : la Cour des comptes étrille la filière nucléaire (Reporterre)

Santé-Ecologie
Publié le 12 juillet 2020

Dans un rapport très critique dévoilé ce jeudi, la Cour des comptes attaque les dérives et les surcoûts des EPR français et étrangers. Elle préconise une remise à plat des coûts et de la rentabilité de la filière avant de décider de nouvelles constructions.

« Un échec opérationnel, des dérives de coûts et de délais considérables. » C’est par ces mots très sévères que le rapport de la Cour des comptes consacré à la filière EPR, présenté jeudi 9 juillet par son premier président Pierre Moscovici, tance le chantier de l’EPR de Flamanville (Manche). « La construction de ce réacteur a été décidée en 2004 par EDF et elle devait être achevée en 2012. Il ne sera mis en service, au plus tôt, que mi-2023 », a indiqué M. Moscovici. Le rapport pointe ainsi la multiplication par 3,3 du coût de construction, estimé par EDF à 12,4 milliards d’euros, et par au moins 3,5 du délai de mise en service de ce réacteur nouvelle génération. « Ce sont des éléments qui constituent, même pour un réacteur dit de « tête de série » et comportant de nombreuses innovations, une dérive considérable. »

Comment en est-on arrivé là ? Le rapport évoque d’abord un projet d’EPR conçu dans des « conditions défavorables »« L’EPR, à l’origine, est un projet franco-allemand, a rappelé M. Moscovici. En 1998, suite à un changement de politique avec l’arrivée des Grünen au gouvernement, l’Allemagne s’est retirée du nucléaire. Le projet est donc devenu uniquement français, mais les études d’ingénierie et les options de conception […] étaient déjà très avancées. » Pour le premier président de la Cour des comptes, cette « double paternité » a constitué une « source importante de complexité ».

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, a présenté le rapport sur la filière EPR jeudi 9 juillet

Ensuite, la rivalité entre les groupes EDF et Areva, qui a conduit à lancer précipitamment les chantiers d’Olkiluoto (pour Areva) et de Flamanville (pour EDF), a favorisé une sous-estimation de la difficulté des chantiers et notamment de leur durée. « Elle était de 54 mois pour Flamanville 3 alors que le temps moyen de construction d’un réacteur dans le monde, d’un réacteur non EPR donc, était de 121 mois entre 1996 et 2000. Elle est aujourd’hui envisagée à 187 mois pour Flamanville 3 », a calculé M. Moscovici. Au-delà de ces mauvaises évaluations, c’est toute l’organisation du chantier qui est critiquée dans le rapport : confusion entre les fonctions de maître d’ouvrage et de maître d’œuvre, absence de pilotage par une équipe projet jusqu’en 2015, absence d’évaluation de la rentabilité du projet.

Sans compter la perte de compétences technique de la filière, déjà évoquée dans le rapport sur l’EPR de Flamanville remis en octobre 2019 par Jean-Martin Folz à Bruno Le Maire. Ceci expliquerait entre autres le problème de soudures auquel se heurte actuellement EDF pour achever son chantier. « La filière n’a pas été en mesure, pour un certain nombre de pièces et de soudures, de respecter ce haut niveau d’exigence [de l’exclusion de rupture]. Des écarts de qualité dans la réalisation des soudures de traversée de l’enceinte du réacteur nécessitent maintenant de reprendre ces soudures peu accessibles. Leur seule réparation entraîne un surcoût de construction de l’ordre de 1,5 milliard d’euros », a détaillé M. Moscovici. Pire, EDF n’a informé l’Autorité de sûreté nucléaire de l’existence de cet écart qu’en 2017, quatre ans après en avoir pris connaissance elle-même.

Les négociations pour la construction de six réacteurs en Inde et de deux réacteurs au Royaume-Uni s’enlisent

Les projets internationaux d’EPR ont été scrutés avec la même intransigeance. Si les deux réacteurs de Taishan en Chine ont été mis en service en 2018 et 2019 – après un retard et un surcoût de « seulement » cinq ans et 60 % –, les projets d’Olkiluoto (Finlande) et Hinkley Point (Royaume-Uni) s’éternisent. Le premier, lancé en 2005 et qui aurait dû être mis en service en 2009, aurait déjà quadruplé son coût à 8,2 milliards d’euros et ne devrait pas fournir d’électricité avant au mieux fin mai 2021. Le deuxième devrait coûter 16 à 17 milliards d’euros et sa rentabilité a déjà été revue à la baisse à plusieurs reprises. Les négociations pour la construction de six réacteurs en Inde et de deux réacteurs supplémentaires au Royaume-Uni, elles, s’enlisent. « La construction de nouveaux réacteurs reste très dépendante du soutien des États, a observé M. Moscovici. Les projets nucléaires présentent des risques élevés et une rentabilité probablement insuffisante pour parvenir à attirer des investisseurs privés. »

Le projet de Hinkley Point (Royaume-Uni) — comme celui d’Olkiluoto (Finlande) — s’éternise.

Le financement, le nerf de la guerre. Tous ces projets qui ont dérivé ont pesé lourd sur les finances d’Areva et EDF. Fin 2019, la dette d’EDF s’élevait à 41 milliards d’euros« incompatible avec des investissements massifs dans de nouveaux réacteurs », a tranché M. Moscovici. « La filière nucléaire française du futur doit trouver de nouveaux moyens de se financer, a-t-il alerté. EDF ne peut plus, en effet, être le seul financeur sans garantie de recettes futures. Aucun nouveau projet ne saurait être lancé sans une forme de garantie publique, qui implique, pour justifier ce transfert de charge au consommateur ou au contribuable, que l’électricité produite soit suffisamment compétitive. » Pour l’instant, rien n’est moins sûr : d’après l’estimation du premier président de la rue Cambon, le coût de production du kilowattheure à Flamanville 3 pourrait être compris entre 110 et 120 euros, et serait ainsi plus élevé que celui des réacteurs existants ou même que celui d’énergies renouvelables, coût de stockage compris. Il n’est pas sûr non plus que le projet de développement d’un modèle dit « EPR2 », présenté comme plus simple et moins cher à construire, sorte EDF de l’embûche : « Privilégier l’innovation à l’expérience cumulée présente des risques », rappelle le rapport.

À la suite de ce constat accablant, le gouvernement a-t-il raison d’étudier la construction de trois paires d’EPR2, pour un coût évalué à 46 milliards d’euros « Il nous apparaît important de resituer la décision […] dans une analyse complète et une planification du mix électrique à l’horizon 2050 », a répondu M. Moscovici, soulignant tout de même que cette décision « aura des conséquences jusqu’au XXIIe siècle ». Et d’indiquer :

« Il demeure pour nous une incertitude sur la capacité de la filière nucléaire française, malgré les importants efforts qu’elle conduit actuellement, à construire de nouveaux réacteurs électronucléaires dans des délais et pour un coût qui demeurent acceptables. »

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