La crise climatique rend la viticulture de plus en plus difficile. Dans l’Aude, des vignerons développent la culture de l’aloe vera, une plante qui résiste à la sécheresse.
Fitou (Aude), reportage
D’un coup de poignet expert, Laurent Maynadier tranche une épaisse feuille d’aloe aux reflets céladon. Trois mouvements de couteau, et voici la palme pelée. Délicatement, l’homme extrait un peu de suc gélatineux. Le Graal. « Cette pulpe est cicatrisante et hydratante », dit-il en souriant. Malgré ses gestes sûrs et ses connaissances encyclopédiques, Laurent Maynadier est un novice en matière d’aloe vera.
Treizième génération d’une lignée de vignerons, il cultive avec sa compagne, Marie, une dizaine d’hectares au domaine du Champ des sœurs, à Fitou (Aude). Enfin, cultivait. Car le couple diminue progressivement les surfaces viticoles au profit de la plante grasse.
À l’origine de cette mutation : la sécheresse. « Ça fait dix ans qu’on voit les effets du changement climatique, tout devient peu à peu désertique ici, décrit le paysan. L’an dernier, il n’a plu que 240 mm, alors qu’il en faut au moins 350 pour que la vigne se porte bien. » Les vendanges de plus en plus précoces, les fruits qui brûlent sous le cagnard, l’aridité récurrente… « On n’a rien pu récolter l’an dernier, et cette année s’annonce aussi très difficile. Il n’y a pas d’autres solutions : il faut se diversifier. »
Voici quatre ans, le couple s’est ainsi mis en quête d’alternatives. Les plantes médicinales ? « Pas assez de froid l’hiver. » L’olivier ou l’amandier ? « Pas suffisamment d’eau. » La grenade ? « Toute l’Espagne en cultive. » Après quelques tâtonnements, aiguillés par la Chambre d’agriculture, Laurent et Marie se sont tournés vers l’aloe vera. Importés d’Andalousie, 300 plants ont pris racine dans leurs terres caillouteuses. Et là, le miracle.
« Expérimenter l’agriculture de demain »
Luttant contre un zéphyr glacial, Laurent Maynadier se fraie un chemin dans une parcelle aux airs de Far West. Entre les rangées d’arbustes courbés par le vent, des centaines de succulentes déploient leurs palmes dentelées. « On a multiplié par dix les plants en trois ans, se réjouit le paysan. La plante est bien adaptée à notre terrain. » À ses côtés, son ami Frédéric Rozis acquiesce. Expert de la vie des sols, cet éleveur de lombrics a suivi pas à pas les avancées des vignerons : « Ils sont peut-être en train d’expérimenter l’agriculture de demain en Occitanie. »
Une jolie pirouette de l’histoire : cultivé principalement en Amérique latine et en Asie, l’arbrisseau aux feuilles charnues est originaire du pourtour méditerranéen. Utilisé depuis l’Antiquité dans la pharmacopée européenne, « Christophe Colomb l’a emporté avec lui dans ses voyages, pour soigner les matelots », raconte Laurent Maynadier. Avec le succès que l’on sait.
Développer l’aloe aux frontières méridionales de l’Hexagone n’a donc rien de farfelu. « C’est une plante très résistante à la sécheresse, qui retient l’eau dans ses feuilles, explique Laurent Maynadier. Elle ne supporte ni le gel ni l’excès d’eau. » La plante est aussi très peu sensible aux champignons et autres maladies pouvant venir du sol. Pourtant, les producteurs français d’aloe se comptent sur les doigts d’une main.
« L’industrie cosmétique se fournit en poudre déshydratée produite en Amérique, en Asie et en Espagne », explique le vigneron. Il reste donc un défi, de taille, pour que la bifurcation des Maynadier réussisse : trouver des débouchés. En commençant par créer une filière locale. « La demande est là, présente, pressante même », expliquait au Parisien Alexandre Fouet, qui dirige Sens+, un fonds de dotation chargé de dynamiser ce secteur embryonnaire.
Retour dans la cave du domaine. Entre les cartons de vin et les cuves, Laurent Maynadier dépose un petit panier garni de pots. Les premiers cosmétiques made in Fitou. Avec la précision d’un œnologue, il décrit l’onctuosité de ses crèmes façon « chantilly », les senteurs subtiles des élixirs mêlant aloe et rose de Damas. « On fabrique cela en mode artisanal. On fait des tests. »
Dans le modeste laboratoire d’une amie, lui et sa femme ont pelé, broyé et filtré des centaines de pousses pulpeuses pour en extraire le jus. « 3 kilos de feuilles donnent 1 litre, que l’on peut ensuite épaissir avec de la gomme xanthane. » Les producteurs espèrent récolter entre 300 et 700 litres chaque année, à commercialiser localement, ou auprès d’hôpitaux. « L’aloe pourrait être très utile pour soulager les patients en radiothérapie », dit-il.
Pleins d’enthousiasme, les deux vignerons semblent prêts à tourner la page du vin. « L’important, c’est qu’on reste paysans », dit Marie. Dans le village, les autres viticulteurs observent avec curiosité la conversion de leurs voisins. « Au début, on passait pour des fantaisistes, mais avec les sécheresses qui se répètent, ça commence à bouger », raconte Laurent. Dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales, ils sont désormais une dizaine de cultivateurs — réunis au sein de l’association Aloe d’Oc — à tenter l’aventure. « C’est un projet pour nous bien sûr, pour pérenniser notre activité, mais aussi pour toute l’Occitanie, explique-t-il. Il est urgent de trouver un avenir pour notre agriculture. »
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Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants.
Quand le dernier arbre aura été abattu, quand la dernière rivière aura été empoisonnée , quand le dernier poisson aura été pêché, alors on saura que l’argent ne se mange pas.
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