Publié le 20 mai 2018
Il est certes devenu un peu trop facile d’ironiser sur le chapelet de couleuvres qu’avale depuis un an Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique. Mais celle-ci est trop grosse pour la laisser passer, c’est un boa. Mercredi, avec le feu vert du ministre, la préfecture des Bouches-du-Rhône a autorisé le groupe Total à exploiter une bioraffinerie sur son site de Mède, près de l’étang de Berre. Dès cet été, Total importera au moins 300.000 tonnes d’huile de palme par an, ce qui représente une augmentation des importations françaises de ce produit de 36%.
En juillet 2017, en présentant son plan climat, Nicolas Hulot proposait de « fermer la fenêtre d’opportunité qui permet d’incorporer de l’huile de palme dans les carburants ». Mais dès sa nomination, le ministre a vite dû faire machine arrière.
Une déforestation monstrueuse
L’huile de palme a beaucoup de qualités : elle est facile à cultiver, et donc peu coûteuse ; c’est un produit très stable, qui résiste à la chaleur et à l’oxydation ; elle est facile à « travailler » dans un processus industriel. Mais comme on le sait, c’est une horreur. Pas tant pour la santé, bien que ses graisses saturées ne soient pas la panacée. Pour l’extraire, on se livre en Indonésie et en Malaisie (90% de la production) à une déforestation monstrueuse, afin de planter des palmiers à huile.
Or, qui dit déforestation dit massacre des derniers orang-outans et des gibbons, destruction de la biodiversité, brûlis extrêmement polluants, expropriations de villages… Mais aussi aggravation du réchauffement climatique. Car, comme le rappelait Nicolas Hulot avant qu’il ne soit ministre, « la déforestation est responsable de 10% des émissions de gaz à effet de serre mondiales ». Selon une étude commandée en 2016 par la Commission européenne, l’huile de palme est trois fois plus néfaste, en terme d’effets de serre, que les énergies fossiles.
Les proportions de cette industrie de l’huile de palme sont gigantesques. Il ne s’agit pas seulement d’ajouter quelques grammes au Nutella : l’huile de palme représente un quart de toute l’huile produite dans le monde. Des chips à la mayonnaise, cette graisse végétale est présente dans 80% des produits alimentaires industrialisés et 20% des produits de beauté. Elle sert principalement à l’industrie du carburant : en France, 75% de l’huile de palme importée termine dans les réservoirs de véhicules.
La décision de Nicolas Hulot apparaît donc comme incompréhensible. Elle est contraire aux intérêts des producteurs français de colza. Elle est contraire aux intérêts de la planète – et il n’y a pas de « planète B », pour paraphraser Emmanuel Macron qui jure avoir fait de la lutte contre le réchauffement climatique sa priorité. Elle est contraire à l’avis du Parlement européen qui, en janvier, a voté la suppression de l’utilisation d’huile de palme dans les carburants d’ici 2021. Enfin elle est contraire à ce que le ministre lui-même pense au plus profond de lui-même. Interrogé sur BFMTV-RMC, il a tenté de se justifier en expliquant que c’était transitoire, qu’il avait négocié avec Patrick Pouyané, le patron de Total, pour que la part d’huile de palme soit limitée et réduite chaque année au profit des huiles usagées… Mais pas de quoi calmer les organisations écologiques.
Faire plaisir à Total, à l’Indonésie et à la Malaisie
Pourquoi cette décision ? Deux explications. La première est un lobbying efficace de Total, qui cherche à sauver le site de Mède. Patrick Pouyané, le patron, est est un fan d’Emmanuel Macron : il a beau avoir été directeur du cabinet de François Fillon, il a soutenu l’adversaire de ce dernier pendant sa campagne et il ne tarit pas d’éloges pour ce président qui, dit-il, fait faire à la France « un saut vers la modernité ». Macron, de son côté, considère Total comme un des groupes les plus stratégiques de la France.
Seconde explication, plus cynique encore : la France vend des armes et des avions vers l’Indonésie et la Malaisie. Et ces pays menacent de ne plus acheter ces engins si Paris nuisait à leurs exportations. Pour torpiller un projet français de taxe sur les huiles de palme, l’Indonésie, en 2016, avait menacé de ne pas commander des Airbus A400M de transport militaire. Et selon l’ »Usine nouvelle », la Malaisie fait aujourd’hui de même : elle menace de ne plus acheter 18 Rafale en discussion.
Après le vote du Parlement européen en faveur de l’interdiction de l’huile de palme dans les carburants, en janvier, la France avait déjà fait savoir qu’elle s’y opposerait. Elle confirme aujourd’hui son orientation très peu « Make the Planet Great again », pour reprendre le slogan ambitieux d’Emmanuel Macron. La « fenêtre d’opportunité » qu’évoquait en 2017 Nicolas Hulot reste, hélas, grande ouverte et ses gonds bien huilés.
Par Pascal Riché
(nouvelobs)
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