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Grande distribution : la grande arnaque des aliments “neutres en carbone” (source Marianne)

Agriculture/Environnement Santé-Ecologie
Publié le 5 juin 2023

Pas une journée sans une publicité avec la promesse « neutralité carbone ». Après les compagnies aériennes, les stations-service et les SUV, c’est au tour des entreprises agroalimentaires d’alléguer leur « zéro effet de serre ». Comment imaginer une seconde que l’alimentation, responsable d’un quart de l’empreinte carbone des ménages, puisse être, d’une manière ou d’une autre, climatiquement neutre ? Les lentilles, pourquoi pas. Le jus de pomme, à la rigueur. Mais le café, la viande et les produits laitiers ? Sérieusement… C’est pourtant bien ce que promettent des tas d’entreprises avec leurs produits : les dosettes de café Carte noire ; les tomates marocaines Azura ; une cuvée de vin de Bordeaux commercialisée par le domaine Château La France ; du lait infantile bio Essentia distribué par Hipp ; la célèbre boisson lactée de Danone, Actimel, en Belgique ; les fromages Brugge ; la viande bovine brésilienne Marfrig, etc.

Au Far West du carbone, l’astuce est connue : tout ça n’est que trop souvent une affaire de compensation. Il suffit, pour les entreprises, de financer des projets qui compenseront des quantités de CO2 équivalentes à leurs propres émissions pour se revendiquer neutres en carbone. Sauf que « cette arithmétique simpliste ne fonctionne pas d’un point de vue scientifique. Car on ne fait aucune distinction entre une entreprise qui va transformer son modèle pour s’aligner avec la neutralité carbone mondiale et contribuer financièrement à des projets et une autre qui choisira de compenser ses émissions dites résiduelles, tout en poursuivant son business » observe Renaud Bettin, responsable de l’action climatique chez Sweep, une société de conseil spécialisée dans la réduction des émissions.

COMPENSATION BIDON

En outre, le procédé de compensation tient un peu de la facilité écolo : entre l’achat de crédits carbone et la captation du CO2, il peut s’écouler des décennies, le temps de voir un arbre atteindre une taille suffisante pour séquestrer du carbone. Or, si toutes les multinationales se mettaient à user de ce procédé, la Cocotte-Minute atmosphérique friserait l’explosion avant les premiers effets de leurs vertueuses plantations.

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Il y a aussi des tas de projets de compensation bidon, comme l’explique Gilles Dufrasne, de l’ONG Carbon Market Watch : « Beaucoup de projets exagèrent l’impact des crédits carbone. Pour 100 tonnes de CO2 évitées ou séquestrées, certains n’hésitent pas à générer 200, voire 300 crédits. » C’est d’autant plus regrettable que le marché de la finance carbone joue un rôle déterminant dans le financement de projets bas carbone. Mathieu Saujot, coordinateur de l’initiative « modes de vie en transition » à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), va même plus loin : « Être neutre en carbone à l’échelle d’un produit alimentaire ne veut strictement rien dire. Un pays peut l’être, en compensant ses émissions résiduelles par des puits de carbone, mais pas un produit. »

GARDE-FOUS FRAGILES

Bref, l’affichage « neutre en carbone » des aliments n’est que de la poudre aux yeux, « un écran de fumée destiné à induire en erreur le consommateur » confirme César Dugast, expert énergie-climat au sein du cabinet Carbone 4. Une manière aussi pour certaines entreprises de cacher leur inaction. Car il n’y a pas de solution miracle pour décarboner l’industrie agroalimentaire : il faut changer de modèle. En 2021, dans un avis, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) avait pourtant estimé que le concept de neutralité carbone n’avait de sens qu’à l’échelle des États.

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Il y avait une logique à cela. Les mécanismes écologiques, tels qu’ils ont été envisagés par le protocole de Kyoto en 2005, autorisent en effet les États à ne compenser qu’une quantité limitée de leurs émissions dans des pays tiers. Le reste doit provenir de leur capacité à capturer l’excédent de CO2 présent dans l’atmosphère au moyen de leurs puits de carbone naturels (sols et forêts essentiellement). Le problème, c’est que, lorsque le secteur privé s’est emparé des mécanismes de compensation carbone, les garde-fous mis en place pour les États sont tombés. Les marques, elles, vont aller chercher les vertus de la compensation sans ces contraintes : elles peuvent « puiser » où elles l’entendent et ainsi compenser à l’infini.

PAS DE TRANSPARENCE

Un décret d’application de la loi Climat et résilience, entré en vigueur au début de l’année, se contente de préciser les modalités de communication des entreprises sur la neutralité carbone. Celles-ci doivent désormais respecter un certain nombre d’obligations sur la contribution carbone, sur leurs objectifs de baisse des émissions et la transparence de leur mesure des crédits carbone. « Ce n’est pas la mer à boire pour une entreprise dotée d’une direction RSE [responsabilité sociétale des entreprises] », souligne César Dugast, qui regrette que la directive n’ait pas, à tout le moins, prévu d’exclure des biens ostensiblement nocifs pour le climat, comme la viande issue de l’élevage ultra-intensif de bovins, accessoirement nourris au soja OGM – importé d’Amérique du Sud et responsable de la déforestation.

Mais, surtout, c’est une reconnaissance implicite des allégations étalées sur les produits. D’ailleurs, lorsqu’on leur demande de s’expliquer, les industriels de l’agroalimentaire se retranchent derrière ce dispositif législatif. Or, pour bien faire, ils devraient aller beaucoup plus loin en matière de transparence. « Pour pouvoir réellement mesurer leur contribution à la neutralité carbone, il faudrait que les entreprises rendent publiques leurs émissions directes et indirectes ; leur évolution dans le temps ; leurs actions concrètes à cinq ans ; et leurs émissions “évitées” » souligne Renaud Bettin.

ALLER PLUS LOIN

L’Europe a bien dans ses cartons, elle aussi, un projet de directive visant à faire le ménage dans les allégations environnementales des entreprises, mais elle vise essentiellement à obliger les entreprises à en apporter des preuves scientifiques. Sauf que de nombreuses associations et ONG (dont Carbon Market Watch et le Bureau européen des unions de consommateurs) souhaitent interdire purement et simplement la publicité mentionnant la neutralité carbone. Un projet de résolution législatif en ce sens a été soumis au Parlement européen en séance plénière le 11 mai, au cours de laquelle les eurodéputés se sont prononcés en faveur d’une interdiction. « C’est une très bonne nouvelle » souligne Lindsay Otis Nilles, de Carbon Market Watch. Ce sera ensuite aux États membres de se prononcer. « Ils finalisent leur positionnement, mais il faut garder à l’esprit que le Parlement est en général plus ambitieux que les États » nuance Gilles Dufrasne.

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En attendant, la solution serait d’aboutir rapidement à un affichage environnemental qui donnerait l’intensité carbone d’un aliment sur toute la chaîne de valeur. Objectif : fournir au consommateur les meilleures options pour le climat à l’heure de remplir son Caddie. « Ça aurait l’avantage de couper l’herbe sous le pied à ces allégations. Mais les États doivent encore se mettre d’accord sur les indicateurs. Il devrait voir le jour au mieux l’année prochaine », prédit Mathieu Saujot, de l’Iddri.

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