La qualité de l’océan fait débat

Santé-Ecologie
Publié le 29 janvier 2020

La Sepanso a fait analyser les mousses échouées sur la côte basque. Les résultats révèlent des taux de composés tensioactifs mille fois supérieurs à la normale. La Ville de Biarritz réfute la méthode employée.

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Le phénomène des mousses touche toute la côte Atlantique. © Michel Botella

La Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (Sepanso) a prélevé, en février 2019 à Anglet puis en novembre à Biarritz, des échantillons de la mousse échouée en quantité après le passage des tempêtes Gabriel et Amélie. Après analyse en laboratoire, les résultats indiquent des taux très élevés de tensioactifs, ces molécules que l’on trouve dans les shampoings, lessives et autres produits ménagers moussants.

« Alors qu’on devrait trouver ces détergents pétrochimiques en microgrammes, c’est-à-dire en millionièmes de grammes, on les trouve en milligrammes, c’est-à-dire mille fois plus » dénonce Michel Botella, un repenti de l’industrie pétrochimique aujourd’hui membre de la Sepanso. L’association revendique le retrait pur et simple du marché des détergents issus de l’industrie pétrochimique.

“C’est un phénomène naturel et planétaire”, s’exclame le maire de Biarritz Michel Veunac. « De tout temps, ces phénomènes appelés ‘barbe de Neptune’ sont observés en automne et en hiver sur les plages océaniques », remarque-t-il, appuyant ses propos par une reprographie de la Grande Plage pendant la tempête du 25 janvier 1910. « Les océanographes expliquent que généralement, ces mousses apparaissent après des épisodes tempétueux (…). Sous les coups de houle répétés, des algues ou micro-planctons libèrent des protéines contribuant à favoriser cette émulsion ».

En 2017 et 2018, la Ville a fait réaliser des analyses pour déterminer si ces mousses étaient d’origine naturelle ou humaine. Conclusion : « elles ne sont pas liées à des rejets urbains », explique Peggy Bergeron, ingénieure à la cellule Océan Environnement de la ville de Biarritz. Elle insiste à son tour : “Ces phénomènes de grandes mousses, on les a toujours connus”. Pour cette docteure en biogéochimie de l’environnement, les résultats communiqués par la Sepanso sont « réfutables ». La technique d’analyse employée par l’association, une méthode colorimétrique au bleu de méthylène, « manque de finesse » selon elle, car elle fournit des résultats « par excès ». En outre, la scientifique dit ignorer quel laboratoire a produit ces analyses, car Michel Botella n’aurait pas souhaité le lui indiquer.

Les lois existent

« Les résultats sont là, ils sont dramatiques » déplore pourtant le militant de la Sepanso. « Ils sont de l’échelle du monstre climatique qui s’annonce et qui monte dans notre dos. On veut ignorer l’impact des pollutions, leur contribution à ce bouleversement climatique. Et les détergents pétrochimiques font partie de ces dangers », répète le militant qui n’a de cesse d’alerter les autorités locales depuis 1998. Cette année-là, un appel du Collectif des scientifiques pour des détergents sans danger pour l’environnement soulève la nocivité de ces composés non biodégradables, et demande « qu’une décision politique soit prise d’urgence pour en modifier la composition ».

Pour Michel Botella, ce ne sont pas les textes de loi qui manquent. Au contraire, l’État français « a alerté » les élus locaux sur les dangers des détergents pétrochimiques. « Il existe la directive-cadre sur l’eau 2000. Dans son annexe 10, la liste est reprise et étendue, et ces dangers sont ciblés ». Le militant écologiste demande également aux élus de « prendre en considération et faire valoir le Plan national micro-polluants 2016-2021. C’est un plan de la République française, en application de la directive ».

La ville de Biarritz répond que c’est à l’Union européenne de prendre des mesures et d’en imposer la mise en œuvre à ses pays membres. L’annexe 10 citée par Michel Botella « n’a pas été transposée en directive, et donc la France n’a pas du tout imposé à toutes les stations d’épuration de devoir traiter ces molécules ».

L’Agglo scrute la qualité des eaux

Les maires du littoral ont lancé en 2016 une étude à l’échelle de l’agglomération Pays Basque, baptisée Micropolit. « C’est un projet très innovant porté par l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, et notamment par une scientifique, Mathilde Monperrus », présente Peggy Bergeron. « Il s’agit d’analyser, rechercher les polluants émergents et autres micro-polluants d’origine médicamenteuse ou liés à la pétrochimie. Tout le monde a conscience qu’aujourd’hui, la qualité des eaux de baignade n’est vérifiée que sur ses paramètres microbiologiques et qu’il est évident qu’il faut s’intéresser à tous ces polluants émergents ».

Selon l’ingénieure, la quantité de détergents présents sur la côte basque s’exprime en microgrammes par litre et non en milligrammes par litre, comme l’avance la Sepanso. « Personne ne conteste la présence de ces tensioactifs. Mais attention, il y en a qui viennent de la pétrochimie et d’autres qui sont naturels ». Elle le répète, la méthode utilisée par la Sepanso « donne une évaluation globale, mais il faut qu’elle soit largement précisée ».

Faut-il retirer de la vente les détergents pétrochimiques, comme le revendique la Sepanso ? « Le meilleur déchet, c’est toujours celui qu’on ne produit pas. Éviter d’injecter des produits susceptibles de se retrouver dans le milieu, voilà la conclusion que l’on attend de Micropolit » répond Peggy Bergeron. « Il y a un autre gros volet orienté vers le grand public, pour lui apporter ces informations. Mathilde Monperrus, dans le cadre du projet Micropolit, souhaiterait qu’on devienne un territoire innovant par rapport à ces comportements ».

Particules en suspension

Michel Botella pointe divers phénomènes provoqués par la pollution aux détergents chimiques. Outre la pollution de l’océan, « qui inquiète les pêcheurs », la qualité de l’air s’en trouve elle aussi impactée. « Le problème est tellement d’acuité que dès qu’il y a une tempête, les capteurs de l’Atmo Nouvelle-Aquitaine, l’organisme qui analyse la qualité de l’air, révèlent une augmentation des particules fines », affirme le militant. « Nous demandons à l’Atmo qu’ils aillent un peu plus loin que la simple alerte et qu’ils analysent ces embruns chimiques ».

« C’est un débat que nous avons eu en 2016 avec Airaq [ex-Atmo] » se souvient Peggy Bergeron. « Il y avait eu tout d’un coup une alerte préfectorale. ‘Attention, l’air est pollué sur notre territoire…’. L’élu à l’environnement [et médecin, ndlr] Guillaume Barucq s’était ému du sujet et avait répondu qu’au contraire, on était sur des moments où il y avait des embruns marins majeurs. Il avait envie de dire à ses patients d’ouvrir grand leurs fenêtres et de respirer cet air marin ! ». L’ingénieure explique que l’organisme Airaq « reconnaissait » que sur le paramètre PM10 (particules en suspension de moins de 10 micromètres), les sels marins étaient retenus. « On a beaucoup échangé avec eux, ils savent que leur technique est mise en défaut, mais pour autant, ils ont besoin de maintenir ce paramètre. Ce qui a changé depuis, c’est qu’il n’y a plus d’alerte préfectorale dans ces cas-là ».

Deuxième conséquence soulevée par Michel Botella : ces fameux embruns s’attaquent aux pins maritimes. La Sepanso l’a constaté en début d’année dernière. « Il y en avait autour de l’Hôtel du Palais. Les branches exposées à l’ouest, exposées au vent de tempête, affichaient une brûlure chimique incontestable. Ces embruns chargés de détergents, c’est-à-dire de décapants, touchent l’épiderme de l’aiguille. Les branches meurent, le pin meurt » se désole Michel Botella.

« Bien sûr que cela brûle, puisque c’est du sel marin ! » répond Agnès Chabault, directrice Aménagement Durable et Cadre de Vie à la Ville de Biarritz. « C’est vrai que les arbres qui sont situés en bord de mer doivent être choisis avec précaution quand on les plante. Ce sont essentiellement des tamaris qui vont résister aux sels marins. Les arbres sont plantés là avec le souci qu’ils résistent aux assauts du sel marin », insiste-t-elle. « C’est un biais de mesure de constater que cet air est pollué. Il n’est pas pollué. Il est salé ! » résume Michel Veunac. « Airaq 64 a pris en compte ces remarques et n’a plus jamais décrété qu’il y avait pollution de l’air ».

Michel Botella avance pourtant un dernier phénomène, et non des moindres selon lui : « L’océan n’a plus d’odeur. Et ça c’est très grave. On ne prend pas suffisamment en compte ce processus ». Le militant a l’intuition qu’ « il se passe des choses, dans l’océan et sous l’océan, dont on ne perçoit pas les dangers qui s’annoncent ».

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