Le climat et la vie, 4 milliards d’années compliquées par Yves Daudu (Marianne)

Santé-Ecologie
Publié le 17 novembre 2019

La planète n’a pas attendu l’arrivée des humains pour subir les variations climatiques. De glaciations en épisodes d’extrême chaleur, la nature a traversé des phases d’extinction massive ou d’explosion du vivant. Nos ancêtres en ont bien profité.

Difficile d’imaginer la planète il y a quatre milliards d’années, époque des premières traces de vie, selon de récentes découvertes dans le nord du Québec. « Le géologue de cette époque-là est un astronaute, il explore une autre planète », se plaît à souligner le chercheur Alain Meunier. « La Terre est couverte d’eau, de temps en temps les océans seront rejetés dans l’atmosphère par d’énormes et nombreuses météorites qui la bombardent. C’est totalement irrespirable. »

Comme chacun sait, l’oxygène est indispensable à la vie et le gaz carbonique (CO2) est un poison. Certes, mais… Contrairement à deux idées reçues, l’oxygène est né du vivant et, durant des millions d’années, le CO2 a été essentiel au maintien d’un climat permettant à la vie d’émerger. Reprenons.

L’OXYGÈNE, PREMIÈRE ARME DE DESTRUCTION MASSIVE

Si étonnant que cela puisse paraître aujourd’hui, le CO2 a été indispensable à l’apparition de la vie. Le Soleil était à l’époque 20 à 30 % moins lumineux qu’aujourd’hui. La Terre aurait dû être une boule de glace. Or la présence d’océans est avérée. C’est le « paradoxe du Soleil faible », selon la formule des Anglo-Saxons. Une récente modélisation par deux chercheurs américains est venue confirmer l’hypothèse généralement admise d’une forte présence de CO2, causée essentiellement par une importante activité volcanique, corrélée entre autres à une absence d’absorption faute de photosynthèse. Aujourd’hui encore, si la totalité du CO2 venait à disparaître, la température de la Terre serait de -18 °C en moyenne.

Durant plus d’un milliard d’années, les bactéries unicellulaires et sans noyau seront la seule forme du vivant. Certaines d’entre elles, les cyanobactéries, plus communément appelées « algues bleues », vont changer la composition de l’atmosphère terrestre en produisant de l’oxygène par photosynthèse. Cette molécule, réputée indispensable à la vie, adonc surtout été fabriquée par du vivant…

Pour Andrew Knoll, spécialiste des sciences de la Terre, cela débouchera sur « la vraie révolution de la Terre […] il y a plus de deux milliards d’années, lorsque l’oxygène a envahi la surface des océans et la fine pellicule atmosphérique. De manière irréversible, ces conditions radicalement différentes à la surface de la Terre ont produit une nouvelle chimie, une nouvelle biologie, de nouvelles possibilités d’évolution. » Mais l’oxygène, toxique pour les bactéries primitives, a participé à leur disparition. Une première extinction massive, en quelque sorte… Bref, ce n’est pas d’aujourd’hui que du vivant détruit du vivant et transforme le climat. « Les êtres vivants ne cesseront de modifier les conditions environnementales de leur propre existence », résume l’historien des sciences Pascal Ascot dans son Histoire du climat.

DISPARAÎTRE, C’EST LE LOT DES ESPÈCES

Les spécialistes parlent même de la « catastrophe de l’oxygène ». Il a en effet absorbé le méthane, gaz à effet de serre particulièrement efficace. Il en résultera la glaciation la plus longue de l’histoire de notre planète… Deux autres épisodes de « la Terre boule de neige », selon la formule des spécialistes, auront lieu il y a quelque sept cents millions puis six cents millions d’années. Mais la Terre n’était pas entièrement recouverte de glace, grâce notamment aux sources chaudes et aux volcans. La vie a pu se réfugier dans des cryoconites, sortes de marmites qui forment des trous dans la glace.

Il y a un peu plus de cinq cents millions d’années, la quantité d’oxygène a atteint peu ou prou son niveau actuel. C’est l’époque de l’ « explosion cambrienne », qui voit la multiplication d’organismes complexes commençant à s’apparenter à des végétaux et à des animaux. Il faut réaliser que, jusqu’à cette époque, aucun organisme vivant n’atteignait le millimètre ! Pour donner une idée du foisonnement du vivant, signalons que le consensus actuel évoque plus de 8 millions d’espèces, certains avançant le chiffre de 100 millions ! Précisons aussi que, selon les spécialistes, 99,99 % des espèces ayant existé ont disparu…

Il y aura ensuite plusieurs forts refroidissements, mais les glaces ne recouvriront que les zones les plus au nord et les plus hauts sommets. Ces variations climatiques seront largement liées à la tectonique des plaques et à la dérive des continents, phénomènes qui pèsent beaucoup sur la composition de l’atmosphère. Regarder un globe qui retrace la transformation de lamasse continentale sur plusieurs milliards d’années est une expérience aussi impressionnante qu’instructive. Rappelons que les premiers noyaux continentaux apparaissent il y a environ quatre milliards d’années. Mais leur surface totale n’atteint pas le tiers de celle des continents actuels. Il faudra attendre plus de trois milliards d’années pour que l’on puisse parler du premier méga continent. Alterneront ensuite des phases de fragmentation et de regroupement. La configuration générale actuelle des continents n’a que dix millions d’années. Or, pour des raisons chimiques et à cause de leurs conséquences sur les courants marins, les continents transforment profondément la composition de l’atmosphère et le climat.

L’autre grande cause des variations climatiques sont les diverses, infimes et régulières oscillations de l’orbite de la planète, connues maintenant depuis plus d’un siècle. Depuis l’explosion cambrienne, dans les cinq cents derniers millions d’années, les scientifiques ont identifié cinq extinctions massives. Elles entraînèrent la disparition de 50 à 95 % des espèces et furent semble-t-il toujours liées à d’extrêmes variations climatiques. Pascal Acot souligne qu’elles ont toutes « un point commun paradoxal : tout se passe toujours comme si la catastrophe représentait une chance, un nouveau départ pour le vivant ». De là à penser que la « destruction créatrice » est aussi une loi de la nature… Précisons par ailleurs que les spécialistes n’excluent pas que d’autres extinctions massives aient pu se produire bien avant les cinq répertoriées. Simplement, nous n’avons pas les moyens de les déterminer. Mais, comme nous l’avons vu, il en existe au moins une clairement identifiée dès le stade inaugural de la vie…

QUAND LES SCIENTIFIQUES RÉSISTAIENT À « L’HYPOTHÈSE COSMIQUE »

La disparition plus connue, mais pas la plus catastrophique, est celle des dinosaures, il y a soixante-six millions d’années. Ses conséquences seront essentielles dans le devenir des mammifères, et donc des primates, des grands singes et, in fine, de nous ! Les mammifères existaient certes depuis plus de cent millions d’années, mais leur niche écologique -et donc leur taille – était on ne peut plus restreinte. Ce fut une chance, puisque ne survécurent que les animaux faisant moins de 25 cm… Les mammifères purent donc se déployer dans de multiples niches écologiques laissées vacantes par la disparition de dinosaures.

Si les conséquences de cette extinction de masse sont assez claires, les causes en sont restées longtemps obscures. A la fin des années 70, une équipe américaine démontra l’ « hypothèse cosmique », à savoir un astéroïde de 6 à 10 km de diamètre percutant la Terre à une vitesse de 70 000 km/h sur la péninsule du Yucatán. L’énergie dégagée fut 6 milliards de fois plus importante que celle produite par l’explosion de la bombe de Hiroshima. Le feu se propagea sur un rayon de plus de 1 500 km, les vents atteignirent plus de 1 000 km/h, des vagues d’une centaine de mètres déferlant sur les côtes. Toute la planète fut plongée dans une longue nuit froide. Solidement étayée, la thèse rencontra pourtant une forte résistance de la communauté scientifique, car elle venait contredire des convictions bien ancrées. Elle fait aujourd’hui consensus.

Reste un épisode « mystérieux » selon les spécialistes. Repéré dans les années 90, le réchauffement climatique brutal advenu il y a cinquante-cinq millions d’années reste une énigme malgré les nombreuses recherches auxquelles il adonné lieu. Les scientifiques excluent toute hypothèse d’éruption volcanique ou de chute d’astéroïde. L’idée aujourd’hui communément admise serait qu’il s’agit d’un emballement du système, d’un effet amplificateur que les spécialistes appellent « rétroaction positive ». Comme l’explique le géologue et spécialiste du système solaire Charles Frankel : « Il y a là matière à réflexion pour notre civilisation. La séquence des événements illustre bien l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes, à savoir la possibilité qu’une augmentation de température, que l’on croit limitée à 1 ou 2 °C, puisse servir de détonateur pour en déclencher une autre encore plus importante. » En effet, comme à l’époque, de gigantesques volumes de gaz à effet de serre sont enfouis au fond des océans ainsi que dans le pergélisol sur les continents…

LES PREMIERS « HOMO » APPARAISSENT EN PLEINE DÉRIVE DES CONTINENTS

Enfin, il y a trente-quatre millions d’années, le refroidissement de la Terre que les spécialistes appellent la « grande coupure » entraîna la disparition de près de la moitié des mammifères. Mais nos ancêtres, les hominoïdes, survécurent. Mieux, ils prospérèrent ensuite. Pourtant, depuis l’émergence des Homo, il y a environ trois millions d’années, comme depuis notre apparition – nous, Homo sapiens -, il y a trois cent mille ans, le climat ne fut pas toujours des plus cléments.

L’émergence des premiers Homo est peu ou prou contemporaine d’un refroidissement global de la planète. Cette fois, la composition de l’atmosphère n’y est pour rien. Le responsable en est clairement la dérive des continents. Après sa séparation du continent africain, la future Amérique du Sud dérivera pendant quelque soixante millions d’années et viendra percuter la plaque nord-américaine. L’irruption de l’isthme de Panama reliant Amérique du Nord et Amérique du Sud entraîne la disparition de courants chauds équatoriaux et débouche sur un refroidissement assez général.

Le cycle de successions de phases glaciaires et de périodes tempérées est encore le nôtre. Or plus il fait froid, plus l’Afrique devient aride, et le désert du Sahara, cette bande de sable de quelques dizaines de kilomètres de large, finira par occuper la majeure partie de la moitié nord du continent. C’est à l’amorce de ce processus que, devant le développement de la savane arborée au détriment de la forêt, nos ancêtres, les australopithèques, connaîtront les premiers changements morphologiques, en particulier une forme de bipédie, qui déboucheront sur les Homo archaïques puis, il y a trois cent mille ans, sur nous, Sapiens.

Une des spécificités des Homo est d’ailleurs cette capacité de s’adapter à tous les climats et tous les environnements. Ce ne sont pas tant nos capacités physiques, mais plutôt notre génie culturel et technique qui nous permettra d’artificialiser très tôt notre environnement, en particulier par les vêtements, les abris, et l’utilisation puis la maîtrise du feu… Reste que, « sur Terre, ce qui est remarquable et un peu énigmatique, c’est que notre planète ait pu traverser plus de quatre milliards d’années en gardant à sa surface un cycle hydrologique et des températures compatibles avec la vie », comme le souligne le climatologue Gilles Ramstein dans son Voyage à travers les climats de la Terre. En effet, malgré de multiples changements climatiques, la Terre est un modèle de stabilité si on la compare aux autres planètes du système solaire.

On parle aujourd’hui de sixième extinction massive. La dégradation de la biodiversité est certes inquiétante. Mais tous les spécialistes s’accordent pour dire que la vie a plus d’un tour dans son sac ! En revanche, s’il est probable que la biodiversité finira par s’en remettre, sa dégradation pourrait nous causer de très, très graves soucis… Et si nous, Sapiens, avons eu à affronter de multiples changements climatiques, celui auquel nous participons aujourd’hui est un défi inédit dans lequel se joue sinon la survie de notre espèce, du moins le risque de basculer dans un monde infernal.

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