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Le goût juste contre la malbouffe : et si nous apprenions à consommer différemment ?(Marianne)

Santé-Ecologie
Publié le 21 avril 2021

Les comportements alimentaires dominants, conditionnés par le toujours plus vite, toujours moins cher, conduisent notre société au chaos. Issue de secours.

À ce jour, la malbouffe a plus tué, tue plus et tuera plus que l’épidémie de Covid-19. Elle reste, pour l’heure, et sous toutes ses formes, le principal fléau sociétal auquel l’humanité est confrontée. Et si aucun vaccin médical ne pourra jamais nous en protéger, il est un concept qui, à terme, pourra nous en libérer : le goût juste. Né de l’idée que le philosophe Jacques Puisais se faisait de l’acte alimentaire, le goût juste propose une rupture avec les codes qualitatifs imposés par le marché pour s’assurer de la rentabilité de la société de consommation. Ayant perdu leur valeur, les notions de bon et de mauvais sont devenues des critères commerciaux arbitraires destinés à enrichir les processus industriels, en négation des équilibres planétaires durables. On ne le constate que trop aujourd’hui, où la croissance néolibérale globalisée épuise les ressources terrestres. Le choix se pose désormais entre une alimentation respectueuse du vivant, qui nous parle, quelle que soit sa catégorie économique, et une nourriture fonctionnelle, formatée, sans mémoire, sans histoire, qui ne nous dit rien et annule notre capacité à distinguer, précisément, ce qui est juste de ce qui ne l’est pas.

La question n’est pas de savoir si c’est bon, ou mauvais, mais si c’est juste, c’est-à-dire conforme à un équilibre reflétant une réalité écologique et culturelle. Un équilibre duquel Jacques Puisais tira sa définition fondamentale : « Un produit juste doit avoir la gueule de l’endroit où il est né et les tripes de celui ou de celle qui l’a fait. » Quel que soit le sens dans lequel on la prend, la devise s’impose à l’intelligence. Quelle que soit sa valeur commerciale, c’est l’authenticité d’une origine qui détermine la vertu essentielle d’un aliment, la qualité est induite, pour ne pas dire coule de source, si le contrat est honoré. L’exacte antithèse de ce que prescrivent l’industrie agroalimentaire et la grande distribution, pour lesquelles c’est la marque qui est la référence. Pour preuve, le combat que mènent les lobbys auprès des juridictions européenne et française pour réduire au maximum une traçabilité informant le consommateur de la provenance des aliments industriels. La récente décision du Conseil d’État donnant raison au groupe Lactalis sur le fait que le client n’a pas à connaître la provenance du lait entrant dans la fabrication des produits laitiers est la preuve que la France a perdu sa souveraineté alimentaire.

PHILOSOPHIE DES SENS

À l’heure où les pires menaces pèsent sur une biodiversité en pleine régression, savoir goûter est un apprentissage du bien-être et un gage de salut pour les générations à venir. C’est la seule façon de donner du sens à l’acte alimentaire, qui lui-même donne du sens à l’existence à une époque où l’avenir de la planète dépend du contenu de nos assiettes. Manger sans goûter nous empêche de saisir cet enjeu et nous livre à l’emprise des marques et des labels mercantiles, au moment où nous ne devrions nous soucier que de l’impact de notre nourriture sur notre monde et notre santé. Manger en goûtant est un gage durable de survie puisque la malbouffe nous rend sourds et aveugles en empêchant l’enfant d’initier son palais aux saveurs originelles, au contraire du repas préparé à la maison, avec des produits locaux, frais et de saison.

La précarité et la fragilité des richesses nécessaires à l’épanouissement de l’homme nous alertent sur les limites à ne pas franchir pour les préserver. L’enseignement du goût juste ouvre l’esprit et permet d’apprécier la nature des choses, et, surtout, tout en incitant à ne consommer, ni plus ni moins que ce dont nous avons besoin pour vivre, permet d’épanouir la sensorialité de chacun. Ceux qui se contentent quasi quotidiennement de faire passer une denrée prédigérée du congélateur au micro-ondes avant de l’ingurgiter en pensant « c’est bon » ne font que précipiter l’épilogue du processus qui nous envoie dans le mur. Il ne s’agit pas de dénoncer le progrès agro-industriel mais l’usage que l’homme en fait pour banaliser davantage l’acte alimentaire au seul profit du marché. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait François Rabelais. La preuve par les milliards de tonnes de malbouffe, issues de technologies de pointe, qui envoient lentement mais sûrement l’humanité à sa perte. Et pas d’amalgame avec le prix à l’étal, car s’il est une vérité limpide lorsqu’on décrypte la facture du consumérisme contemporain, c’est que bien manger ne coûte pas cher mais que mal manger coûte très cher. En aucun cas la malbouffe n’est une fatalité à laquelle les pauvres sont condamnés, mais ils ne pourront s’en émanciper que si une éducation sensorielle dispensée dans le cadre scolaire les arme contre l’ignorance. Le phénomène Nutella est la consécration de cette aliénation. Quant au lobby pharmaceutique, il sait ce que lui rapportent les maladies de l’obésité et le diabète. Une alimentation juste est la meilleure médecine, cette connaissance ne s’obtient que par l’instruction en milieu scolaire.

Prétexter que l’on n’a ni le temps de chercher des produits financièrement accessibles, ni celui de les préparer, est une fuite en avant, voulue par le système, dont les revenus modestes sont les premières victimes.

Ceux qui ne savent pas sentir, donc goûter, doivent apprendre à se réapproprier ce qui les rend plus humains. Pressentant le danger, Jacques Puisais avait créé les classes du goût en 1976 à partir d’une méthode pédagogique, basée sur l’éveil sensoriel, stimulant chez l’enfant la perception du sucré, du salé, de l’acide et de l’amer, paramètres fondamentaux de notre sensorialité. Cette initiative fut à l’origine de différents programmes expérimentés par l’Éducation nationale, suivis puis abandonnés selon les majorités au pouvoir, au gré et aux humeurs des cabinets ministériels. La classe politique ayant enfin admis l’urgence d’une éducation du goût en milieu scolaire, gageons qu’un jour prochain ceux qui nous gouvernent passeront à l’acte en légiférant en ce sens. C’est à l’école, comme pour le reste, que s’évitent les chaos annoncés de l’avenir. Du comportement de celui qui consommera juste dépend déjà demain. Notre philosophe des cinq sens n’aura eu de cesse de rechercher la beauté de ce monde dans le goût des choses et d’expliquer que cette beauté, qu’il comparait à une offrande, est à portée de tous si l’on veut bien se donner le bonheur d’être attentifs. Bonne nouvelle n’ayant pas besoin d’un messie pour se répandre puisqu’elle est accessible à tous pourvu que l’on prenne le temps de goûter.

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