Publié le 27 février 2020
« En bio, la terre est basse par rapport au conventionnel, le dos trinque. »
« Les clients ne se rendent pas compte de notre travail. Ils viennent nous dire qu’on a de la chance de travailler en plein air. Qu’ils viennent faire une journée avec nous, ils verront ! »
« Avoir 1 000 euros pour avoir le dos broyé, c’est cher payé ! »
À lire ces propos d’agriculteurs et de salariés de l’agriculture biologique, on devine à quelles contraintes ces derniers font face dans un secteur en plein essor. En 2018, 5 000 exploitations françaises se sont converties en bio, un niveau jamais atteint auparavant, portant à plus de 9 % la proportion de fermes certifiées.
Désormais, 5 % des achats alimentaires des Français sont issus de ce secteur. Et la production biologique représentait, en 2017, 10,8 % de l’emploi agricole en France, soit un peu moins de 78 000 emplois (pour près de 32 000 fermes).
Bon pour la santé et l’environnement
L’agriculture biologique désigne un mode de production agricole répondant à un règlement européen de 2007 qui en fixe les grands principes. Un règlement d’application le complète ; ces textes doivent être respectés par chaque exploitation labellisée « bio » ou en cours de conversion.
L’usage de produits phytosanitaires est, par exemple, particulièrement limité, impliquant un travail physique important (il faut, par exemple, enlever les mauvaises herbes mécaniquement).
Aujourd’hui, les consommateurs sont friands de ces produits pour des raisons essentiellement sanitaires et environnementales. Selon l’Agence Bio, en 2018, les consommateurs ou non-consommateurs estimaient majoritairement que :
« L’agriculture biologique contribue à préserver l’environnement, la qualité des sols, les ressources en eau » (à 87 %) ;
« les produits biologiques sont meilleurs pour la santé » (à 83 %).
Pour satisfaire ces attentes, les travailleurs de l’agriculture biologique sont-ils prêts à endurer des situations de travail demeurant difficiles et incertaines ?
Pour répondre à cette question, nous nous appuyons sur une enquête réalisée entre 2013 et 2018 dans quatorze exploitations agricoles spécialisées dans la production de légumes bio, dans le Nord et le Pas-de-Calais. Mais aussi sur une quarantaine d’entretiens, près de 120 heures d’observations dans six exploitations agricoles et sur la constitution d’un corpus d’articles de presse sur les agriculteurs bio des deux départements.
Un travail pénible (mais satisfaisant)
L’une des tâches les plus importantes et les plus pénibles en maraîchage biologique concerne le désherbage, indispensable pour que les cultures poussent au mieux. Le travail se réalise à la main, à l’aide de binettes et nécessite des postures du corps spécifiques (accroupi, incliné). Par ailleurs, l’aspect chronophage de cette activité peut sembler aliénant, comme en témoigne cette technicienne du maraîchage bio :
« Moralement, c’est difficile, on a l’impression que c’est des tâches qui n’avancent pas. Il y a le marché demain, faudrait récolter des tomates, il faut aller récolter les salades. Ça va faire une journée à rallonge. Le désherbage, c’est le plus difficile parce que moralement et physiquement c’est compliqué. »
Pour contourner les difficultés de cette tâche, les agriculteurs ont recours à différentes techniques : le paillage, la mise plastiques à terre pour éviter l’enherbement, l’investissement dans des machines adaptées tel le lit de désherbage…
Un travail manuel intense
Dans les exploitations agricoles (cinq sur le terrain d’enquête), les salariés embauchés le sont essentiellement pour désherber ou récolter. D’autres sont également employés pour le conditionnement des légumes, comme c’est le cas dans la production endivière. Ici, la préparation se déroule derrière une chaîne similaire aux lignes de montage de l’industrie :
« En bout de chaîne, un salarié pose les endives sur une roue dentée qui tourne et coupe les racines. L’endive défile sur le tapis, un deuxième salarié la prend pour enlever les feuilles les plus abîmées, il la repose, le troisième en fait de même. Le quatrième pose l’endive dans une caisse. Lorsque celle-ci est remplie, elle est posée sur un deuxième tapis roulant. Le salarié qui est en bout de chaîne la réceptionne, la recouvre d’un papier noir, met un élastique, et la transporte pour l’empiler avec les autres. » (Observation réalisée en décembre 2016)
Ce type de tâches est source de fatigue physique : le travail, effectué debout en posture fixe, est répétitif et peut être à l’origine de tendinites. Le bruit des machines est également perçu comme contraignant. En outre, les journées de travail sont quasiment dédiées à cette unique tâche.
Pourtant, cette pénibilité peut aussi être conçue comme un défi et revêt un certain sens : désherber est vu comme noble car « c’est comme si je prenais soin des légumes » pour une salariée agricole interrogée ou encore, pour cet agriculteur : « On sait comment c’est produit. »
Bref, si ces tâches apparaissent pénibles, elles font aussi l’objet d’une forme de satisfaction.
Les risques de la conversion en bio
L’activité en agriculture biologique présente également pour nombre de travailleurs du secteur un caractère incertain.
Pour certains agriculteurs se convertissant à l’agriculture biologique après une activité en agriculture conventionnelle, la conversion peut être source de pénibilité physique car il faut remplacer le pulvérisateur de produits phytosanitaires par un travail plus manuel.
La conversion est également pourvoyeuse d’incertitude économique. Pour compenser cette difficulté, les agriculteurs peuvent choisir de ne convertir que certaines parcelles tout en gardant une partie de leur production en non biologique.
Cela est toutefois perçu comme une prise de risque économique en raison des marchés et des difficultés techniques engendrées, notamment avec l’achat de matériel adapté. Une agricultrice, installée sur près de 70 hectares et convertie au bio depuis quelques années au moment de l’entretien, en témoigne :
« Sur quatre agriculteurs, trois ont fait un essai en betteraves rouges, et y en a un qui a fait directement six hectares de carottes. Donc tout de suite, gros risque quoi. […] Nous, on s’est plutôt plantés en betteraves rouges avec du matériel d’occasion. C’était assez difficile et au fil des années on s’est rendu compte qu’on n’a pas le même prix qu’en vente directe, les prix sont relativement bas. Il faut sortir du volume et avoir le bon matériel. »
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