Santé-Ecologie
Publié le 25 avril 2023
Le gouvernement a décidé de prolonger l’autorisation des sels nitrités dans le jambon, malgré l’avis des autorités scientifiques, qui confirmaient pourtant leur lien avec les cancers du système digestif. Même une information préventive sur l’emballage a été refusée. Le lobby agro-industriel aura-t-il le dernier mot ?
5 000 morts par an. C’est le nombre annoncé en 2020 par le Pr Axel Kahn, alors président de la Ligue contre le cancer, des pathologies mortelles liées au système digestif. Le gouvernement est évidemment interpellé. Pour être sûr de son fait, il décide d’attendre l’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), établissement public le plus performant d’Europe, qui dépend des ministères de la Santé, de l’Agriculture et du Travail, et dont les recommandations font foi sur tout ce qui touche aux risques alimentaires. Mais l’Anses prend son temps. Il lui est reproché de subir des pressions afin de revoir ses conclusions pour ne pas contrarier certains intérêts. Des portes claquent en son sein.
Au terme d’une périlleuse gestation, l’avis de l’Anses sur les risques liés aux nitrates dans les salaisons, signé par son directeur général, Roger Genet, tombe le 12 juillet 2022. Scientifiquement étayé, cet avis rejoint les études de l’Autorité européenne de sécurité des aliments et du Centre international de recherche sur le cancer, confirmant le lien épidémiologique entre une consommation excessive de produits carnés contenant des additifs nitrés (nitrite de potassium [E249], nitrite de sodium [E250], nitrate de sodium [E251] et nitrate de potassium [E252]) et un risque accru de développer un cancer colorectal par multiplication de trois molécules cancérigènes : le fer nitrosylé, les nitrosamines, les nitrosamides. Seul élément de réserve, le seuil précis de mortalité.
Certes, ça tue, mais à partir de combien de tranches ? Réalité dont l’agro-industrie finit par convenir tout en soutenant que ces toxines préviennent d’autres risques sanitaires, comme le botulisme alimentaire, estimé à une vingtaine de cas par an. Thèse que le journaliste Guillaume Coudray réfute dans une enquête validée par le monde scientifique et publiée en 2017 aux éditions La Découverte : Cochonneries. Comment la charcuterie est devenue un poison. La vérité est que l’absence de sels nitrités dans le jambon modifie sa couleur, moins rose, auquel le consommateur est habitué (comme les enfants le sont de la grenadine rouge vif), et prolonge le délai de fabrication, tout en réduisant celui de sa conservation en rayon, la fameuse DLC, date limite de consommation. C’est donc un motif économique, et non sanitaire, qui explique l’obstination des industriels à empêcher l’interdiction. De là à considérer que la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs s’est constituée en lobby, il n’y a qu’un pas que le gouvernement finit par franchir.
SOLDAT RAMOS
Porté par Richard Ramos, député MoDem du Loiret connu pour son engagement tenace et courageux contre la malbouffe, un projet de loi visant à l’interdiction des nitrates dans les salaisons est adopté le 26 janvier 2022 par la commission qu’il préside, après des modifications de fond exigées par le gouvernement. Il va de soi que l’initiative de l’élu centriste insoumis, caractère s’affirmant au fur et à mesure que les pressions se multiplient, contrarie l’exécutif au plus haut point. Il est bien gentil ce Ramos, mais qu’il aille faire ça dans l’opposition, pas dans la majorité ! Très à l’aise dans le rôle de la bourrique décidée à porter le bât là où ses convictions le guident, Ramos ne lâche rien. Pas plus la carotte que le bâton ne parviennent à ébranler sa détermination.
Celle-ci ne procède pas d’un a priori idéologique, ni d’un parti pris anti-industriel. L’homme est un vrai libéral, humaniste et tolérant, convaincu des vertus de l’économie de marché dans une égalité des chances, hors hégémonie des monopoles et des lobbies financiers. Un vrai macroniste, s’il en est, n’ayant pas besoin du « en même temps » pour convaincre. Ou bien alors le macronisme n’est qu’un leurre électoral. Cette détermination réside dans la certitude que les classes les plus défavorisées sont les premières victimes de la malbouffe et que les mangeurs de jambons bourrés de sels nitrités sont d’abord les pauvres. Normal, le gras des marchands de poison se fait sur les faims de mois difficiles. La loi votée le 3 février 2022 par l’Assemblée n’ayant pas finalisé son cursus parlementaire, une seconde tentative voit le jour, mais cette fois les consignes de Matignon sont très strictes, il faut bloquer le soldat Ramos.
ÉQUATION MORBIDE
Un premier vote à l’arraché valide quand même un projet d’interdiction à huit voix de majorité mais, au moment de l’adoption définitive, il est finalement rejeté par l’Assemblée. Il va de soi que le gouvernement a botté en touche en décidant de limiter de 20 % la présence des additifs nitrés dans les charcuteries et salaisons à partir de mai 2023. Objectif : zéro nitrates et nitrites d’ici à 2028, si un substitut aux additifs nitrés validé par une agence scientifique est trouvé d’ici-là… Dans l’état où est la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, démantelée depuis 15 ans et peu à peu réduite à néant, aucun risque que les taux réels de nitrites dans le jambon industriel puissent être vérifiés : 20 %, quelle hypocrisie !
Le pouvoir prend donc la responsabilité d’une équation morbide, comparable aux 7 % de pertes jadis autorisés dans l’armée. Puisque nous avons entre 6 000 et 8 000 morts annuels par cancers qui sont liés aux additifs nitrés, commençons par en sauver un bon millier, le reste passera par pertes et profits du lobby agroalimentaire. Les pouvoirs publics pourraient au moins exiger une mention sur l’emballage, signalant le risque encouru en abusant de certains aliments nitrés, cela se fait pour d’autres aliments. Mais, là aussi, les groupes Renaissance et LR ont rejeté le 6 avril un projet de loi déposé par les écologistes allant en ce sens. Périco Légasse.
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