Pour faire face aux pandémies, une biodiversité protégée est notre meilleure alliée par Lorène Lavocat (Reporterre)

Santé-Ecologie
Publié le 11 novembre 2020

Préserver de toute activité humaine de larges pans de la nature apparaît comme l’un des moyens les plus efficaces d’éviter la transmission de virus inconnus capables de provoquer des pandémies. Mais la mise en place stricte et indiscriminée de ce type de zones protégées provoque régulièrement la spoliation des peuples autochtones qui y vivaient depuis des siècles.

Si le coronavirus a été transmis aux humains par des animaux sauvages — chauve-souris ou pangolin — la solution ne serait-elle pas de laisser ces petites bêtes tranquilles ? Créer des aires protégées afin de limiter l’émergence de maladies infectieuses, voici l’une des pistes évoquées par le Giec de la biodiversité, l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), dans un rapport publié le 29 octobre dernier« Puisque le facteur principal d’émergence d’une maladie, c’est la perturbation des milieux naturels, une des réponses serait de préserver une biodiversité à un niveau élevé, résume Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). Et une des façons de le faire, c’est de protéger les espaces. »

Les preuves s’accumulent en effet quant au lien entre augmentation des pandémies et déclin du vivant. Dans son rapport, l’IPBES estime à 1,7 million le nombre de virus inconnus chez les mammifères et les oiseaux, dont 850.000 qui pourraient infecter l’humain. « Le risque de pandémie survient quand les espèces sauvages sont mises en contact avec les humains, par la destruction de leurs habitats ou leur capture », rappelle Hélène Soubelet. Les experts du Giec de la biodiversité sont ainsi unanimes : le déploiement du Covid-19 a été rendu possible à cause des activités humaines. « Le changement d’usages des terres — via la déforestation, l’agriculture ou l’élevage, l’urbanisation — a causé l’émergence de plus de 30 % des nouvelles maladies répertoriées depuis 1960 », ont calculé les scientifiques. HIV, Ebola, Sras, Covid-19… Elles sont toutes apparues à la suite d’interventions humaines sur les milieux sauvages.

« Un écosystème diversifié régule mieux le risque infectieux »

À l’inverse, poursuit Hélène Soubelet, « il y a de plus en plus de preuves qu’une biodiversité élevée peut diminuer le risque infectieux ». Ainsi, des études ont montré que plus un écosystème comprend d’espèces différentes, moins les agents pathogènes circulent d’une espèce à l’autre. « Un écosystème diversifié régule mieux le risque infectieux, avance la vétérinaire. C’est par exemple le cas de la maladie de Lyme, qui se répand moins vite dans un milieu où subsistent les prédateurs des rongeurs — porteurs des tiques qui transmettent l’infection — comme les renards. Certaines espèces peuvent également jouer le rôle de cul-de-sac épidémiologique, tels les vautours, qui peuvent se nourrir d’animaux infectés par la rage sans pour autant transmettre ensuite le virus. » Un article publié en août dans Nature a également montré que « les espèces hôtes zoonotiques les plus efficaces [autrement dit les animaux qui partagent des agents infectieux avec les humains] sont généralement plus susceptibles de persister dans des écosystèmes perturbés ».

À l’aune de ces données, des scientifiques promeuvent la création de zones exemptes d’activités humaines. « L’idéal serait de préserver une partie du territoire pour la libre évolution du vivant et la préservation des services écosystémiques associés, affirme Hélène Soubelet. Une aire protégée sert de refuge pour un certain nombre d’espèces, qui n’auront plus à venir côtoyer les humains. » En limitant les constructions, les prélèvements — chasse ou pêche — les activités agricoles ou extractives, mais également le tourisme, on réduit fortement les contacts entre faune sauvage et humains… et donc le risque de transmission de pathogènes.

Un pangolin dans la Madwike Game Reserve, en Afrique du Sud.

Aujourd’hui, 15 % de la surface terrestre et 7,5 % des océans bénéficient d’un statut pour leur conservation, qui peut aller d’une interdiction totale de toutes activités (parcs nationaux) à des réglementations plus conciliantes — comme dans nos parcs naturels régionaux. Cependant, dans les faits « beaucoup de zones dites protégées ne sont pas effectivement préservées », dit Jean-François Silvain, président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. Faute de moyens suffisants — tant pour leur gestion que pour leur contrôle —, elles restent souvent des « aires de papier ». Il existe ainsi 1.062 aires protégées en Méditerranée, soit 6 % de la superficie de cette mer ; mais seulement 0,23 % bénéficie d’une protection efficace. « Il s’agit donc d’étendre les espaces concernés, mais également de les renforcer », observe M. Silvain. Nombre d’organisations environnementales et d’États — la France et le Costa Rica en tête — ont un objectif de 30 % de zones terrestres protégées d’ici 2030, dont au moins 10 % en « protection forte ». Ils espèrent obtenir la généralisation de cette ambition lors des négociations de la COP15 Biodiversité (Conference of parties au traité sur la biodiversité) prévue fin 2021 en Chine.

L’idée, séduisante au premier abord, ne fait cependant pas consensus. « Les aires protégées sont à la mode, surtout en ces temps de pandémie, mais on oublie leur coût humain exorbitant, dit Fiore Longo, de Survival International. Leur création entraîne très souvent des expulsions des peuples autochtones qui vivaient dans ces zones en préservant et en protégeant les écosystèmes mieux que quiconque. » En septembre dernier, près de 130 organisations ont ainsi envoyé une lettre inquiète aux responsables onusiens : « 300 millions de personnes pourraient être touchées si les droits des peuples autochtones et les droits d’autres propriétaires traditionnels des terres et gardiens de l’environnement ne sont pas mieux protégés. »

« Les aires protégées relèvent du colonialisme vert »

« On n’est pas contre la protection de 30 % de la Terre, précise Mme Longo, mais contre l’objectif de 30 % d’aires protégées. La majorité des aires vont être créées là où il y a de la biodiversité, ce qui correspond bien souvent aux zones de vie des peuples autochtones. Or dans de tels espaces, il n’est souvent plus possible de chasser, de pêcher, de cueillir, ni même parfois d’entrer. » L’ONG Survival a ainsi documenté plusieurs cas où la création de parcs a entraîné des expulsions ou une répression des communautés locales. En Inde, la création de certaines réserves de tigres a provoqué le déplacement des peuples autochtones qui vivaient pourtant dans ces zones — et cohabitaient avec les fauves — depuis des siècles. Au Congo, des pygmées Baka ont été arrêtés, emprisonnés et agressés par des gardes forestiers chargés de patrouiller dans les réserves. « Les aires protégées relèvent du colonialisme vert, dénonce Fiore Longo. Elles sont imposées aux communautés locales, souvent sans leur consentement. Et cela nuit in fine à l’environnement. » Selon la militante, « les territoires où vivent des peuples autochtones sont aussi bien sauvegardés, sinon mieux, que des aires protégées, car ils préservent leur lieu de vie, ils ne l’exploitent pas. »

En Inde, des personnes ont été déplacées pour faire place à des réserve de tigres, alors qu’elles vivaient depuis longtemps avec le grand félin.

« La question de la place à accorder aux humains dans ces zones de conservation fait débat, reconnaissait l’ambassadeur de la France pour l’environnement, Yann Wehrling, lors d’une conférence organisée par la FRB sur le sujet. Nous devons nous entendre sur une définition commune, à l’échelle internationale, de ce que doit être une aire protégée ». Hélène Soubelet plaide quant à elle pour « des zones avec une réglementation stricte des activités, qui doivent être vertueuses pour les écosystèmes ». Mais elle reste convaincue de l’importance d’une préservation forte de la planète, « pour l’avenir de l’espèce humaine ». En 2018, trois chercheurs ont modélisé notre dépendance aux services écosystémiques : selon eux, une trop forte augmentation de la production alimentaire se ferait au détriment des services de régulation fournis par la nature — dont la régulation des pandémies, mais également la pollinisation, la qualité de l’air et de l’eau — et entraînerait un déclin inexorable de la population humaine. À l’inverse, une diminution de la production alimentaire pourrait provoquer des famines récurrentes. La voie pour notre survie paraît donc étroite : « Pour nourrir toute la population et maintenir une conservation de la biodiversité et des services écosystémiques, l’équipe de chercheurs prédit qu’il existe un compromis autour de 10 milliards d’humains et 40 % de la superficie terrestre en aires protégées », conclut Hélène Soubelet.


LA STRATÉGIE FRANÇAISE POUR LES AIRES PROTÉGÉES : DES MOTSMAIS PEU D’ACTION

La future Stratégie pour les Aires protégées 2020-2030 est actuellement en cours d’élaboration, avec comme objectif d’atteindre une protection de 30 % du territoire, en France hexagonale et dans les territoires ultramarins, avec 10 % en protection forte. Mais d’après France Nature Environnement« en l’état, la stratégie projetée et son plan d’actions ne permettront pas d’atteindre les ambitions affichées ». L’objectif précédent, de 2 % de terres sous protection forte au cours des dix dernières années, n’a déjà pas été atteint. L’ONG souligne deux lacunes principales dans le projet actuel de stratégie : d’une part, il « développe une logique quantitative en termes de surfaces protégées, sans prioriser les habitats ou écosystèmes qui nécessitent le plus un classement de protection ». En clair : on privilégie la quantité au détriment de la qualité. D’autre par, le projet sur la table ne contient « pas d’engagements sur la question des moyens humains et financiers à dédier à la stratégie, ni la perspective de ressources nouvelles et pérennes pour les aires protégées ».

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