Publié le 24 juillet 2019
En attendant que la justice établisse les responsabilités, un rapport d’information du sénateur (PC) Fabien Gay, que Marianne s’est procuré, fait le point sur le dernier scandale alimentaire concernant de la viande, révélé début juin par RTL. Des tonnes de faux steaks hachés pour les pauvres distribués par quatre associations humanitaires, dont les Restos du cœur, le Secours populaire, la Croix-Rouge et le réseau des banques alimentaires. Avec une question : comment une telle quantité de produits financés par des fonds européens, le FEAD, selon un marché public piloté par FranceAgrimer (FAM), un organisme de l’État, a-t-elle pu finir dans les assiettes ?
« UN QUASI-MONOPOLE »
Premier problème identifié : le prix. Si l’appel d’offre de 5,2 millions d’euros pour les trois lots de steaks hachés comporte un cahier des charges précis, c’est bien sur le seul critère du prix que le marché public a été attribué. De sorte qu’« un quasi-monopole est accordé à quelques négociants spécialisés qui ont développé une compétence unique pour gagner, à tour de rôle, voire chaque année », pointe le rapport. La recherche du toujours moins cher a conduit à ce que Biernacki, le fournisseur polonais, sorte un prix de moins de 3 €/kg pour le seul « coût matière ». A ce prix-là, qui peut livrer du 100% muscles à 15% de matière grasse ? Marianne a pu apprendre que la campagne 2019, gagnée par un industriel français, avec un sous-traitant local – un pour le nord de La France, un autre pour le sud -, affichait un prix à 4,2 € le kilo…. Coût auquel il convient d’ajouter 10% pour la marge et la logistique, pas loin de 560 livraisons, rien que pour les lots de steaks hachés.
Bref, là où ressortait un prix de 3,46 €/kg livré pour la production de Biernacki, Dischamps et son fournisseur gagnent l’appel d’offres 2019 avec un prix de 4,57 €/kg, 32% de plus…. « Comment FranceAgrimer, dont le premier boulot est de faire des statistiques sur les prix ne s’est-elle pas inquiétée de la faiblesse du tarif proposé par Biernacki ? », s’interroge Jean-Luc Dischamps, patron de l’entreprise éponyme. Ce même fournisseur s’était déjà plaint de l’étrange cécité de FAM. En 2013, devant le tribunal administratif de Montreuil, la société Dischamps cherche à faire annuler son contrat avec l’organisme d’État. Motif : ses commerciaux se sont trompés en répondant à l’appel d’offres sur des boîtes de « maquereaux sauce tomate ». Ils ont confondu le prix au kilo et celui de la boîte de 367 grammes. Coût pour l’entreprise : pas loin de 300.000 € de pertes. « FAM n’a pas été choqué que le soumissionnaire qui arrive après nous comme moins disant affichait un prix deux fois supérieur au nôtre », explique le patron, encore amer.
ORIGINE DE LA VIANDE : INCONNUE
Autre révélation du rapport : il n’a pas été possible de tracer l’origine des carcasses utilisées par Biernacki. Quelque 15.000 bêtes dont on ne sait pas si elles sont ukrainiennes, polonaises, voire brésiliennes. De toute façon, «aucun élément relatif à la traçabilité des produits n’est requis dans le cahier des charges », souligne le rapport. Un gros caillou dans le jardin de FAM. « On vient de nous faire adopter le Ceta, en nous expliquant que grâce à la traçabilité, le saumon OGM canadien et la viande aux farines animales et aux hormones ne viendront pas chez nous. Mais de qui se moque-t-on ? On est incapables d’avoir de la traçabilité à l’intérieur même de l’Europe. Et quand FranceAgrimer explique devant la représentation nationale que 97% des volumes viennent d’Europe, dont près de 80% de France, elle joue sur les mots. Il ne s’agit pas de produits d’origine mais de produits transformés. Sur l’origine, on ne sait rien ! », tonne Fabien Gay. Et l’origine européenne ne garantit pas tout, selon un récent rapport sénatorial, 17% des importations françaises de viande fraîche bovine en provenance de nos voisins seraient non conformes…
« Le plan de contrôle actuel est incontestablement défaillant »
Second problème : les contrôles en amont et en aval. FAM connaît défavorablement l’opérateur polonais. Il y a cinq ans, toujours dans le programme européen d’aide aux plus démunis, c’est cette entreprise qui avait livré des steaks hachés avec de la salmonelle. Elle encore qui a repris des lots en 2018, lors d’une première alerte sur la qualité visuelle des premiers lots livrés dans la campagne 2018. Or, « malgré la multiplication de ces alertes, votre rapporteur s’étonne surtout que Biernacki n’ait pas fait l’objet de contrôles sur place par des équipes de Franceagrimer depuis 2013 alors qu’il a été un producteur régulier (en 2013, 2014, 2017 et 2018) ». En réalité, le rapport conclut : « Le plan de contrôle actuel est incontestablement défaillant ». Et pour cause, outre les trois emplois à temps plein consacrés aux vérifications, surtout administratives, FAM ne dépense que 300.000 euros par an pour contrôler 85 millions d’euros d’achats alimentaires, soit 0,3% du budget.
Enfin, selon nos informations, si Biernacki s’apprête à remplacer les faux steaks par de vrais, ses camions repartent avec la marchandise non conforme sans que les autorités françaises n’aient réussi à savoir si elle serait effectivement détruite ou… remise dans un circuit alimentaire humain quelque part en Europe, en Russie ou ailleurs. Le cas s’était produit avec des poulets brésiliens. Impropres à la consommation en Europe pour cause de présence de bactéries, ils ont pris le bateau retour pour se retrouver sur les étals de Rio, où les normes sanitaires sont plus tolérantes. En attendant, coût de la petite histoire pour les associations : près d’un million d’euros.
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