Publié le 4 février 2023
En torpillant la réglementation de l’élevage en plein air pour favoriser le lobby industriel allemand avec l’accord de l’Élysée, Bruxelles sonne le glas des labels de qualité dont dépend l’excellence de la volaille française.
Absorbés que nous étions par le conflit poutino-zélenskien, par la crise énergétique, l’inflation menaçante, la guerre des retraites, le péril chinois, nous en avions un peu oublié les méfaits de ce fléau qu’est la Commission européenne. Qu’a-t-elle fait cette fois-ci ? Rien de moins que de planifier l’éradication de la volaille française de qualité, notre bon vieux poulet dominical, en poignardant dans le dos les labels qualitatifs dont le consommateur se prévaut pour être sûr de son choix. La méthode est particulièrement sournoise et révèle, une fois de plus, le véritable objectif des instances européennes : éliminer toute entrave à l’enrichissement des marchés. Au nom de la libre concurrence, on détricote la loi pour permettre aux marchands de malbouffe d’éliminer ceux qui leur font de l’ombre. En ce sens, le poulet est tout un symbole puisqu’il est l’un des aliments ayant subi la plus massive et violente des industrialisations, avec des élevages intensifs en batterie, surtout en Europe de l’Est, puis dans le monde entier, jusqu’au Brésil, où l’on dépasse l’abomination. Une réalité qui incite depuis longtemps la filière de la volaille de chair française à réagir en développant des élevages de qualité. Nous connaissons tous le poulet label Rouge, avec ses nombreuses variantes locales, comme le poulet de Loué, de Saint-Sever, de Janzé, de Licques, de Challans, du Périgord, du Lauragais, du Berry, du Gâtinais, des Cévennes, d’Auvergne, du Béarn, etc., aujourd’hui au nombre d’une quarantaine.
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Cette filière obéit à des normes de production drastiques, fixées par un cahier des charges officiel, validé par les pouvoirs publics et sévèrement contrôlé par des organismes certificateurs. Il s’agit d’établir des règles s’assurant du bien-être animal et du respect de l’environnement, appliquées à des races rustiques sélectionnées pour leur croissance lente et leur qualité de chair, c’est-à-dire leur goût ; élevées en plein air ou en liberté, par petits groupes, dans de vastes espaces herbeux et ombragés, à raison de 2 m2 au moins par animal durant un minimum de quatre-vingt-un jours, exclusivement nourries d’aliments végétaux naturels à base de céréales et soumises à un suivi sanitaire régulier s’assurant des conditions d’hygiène à toutes les étapes de la production. Un niveau d’exigence spécifique à la France obtenu au terme d’un combat mené durant des décennies par des éleveurs soucieux de se distinguer de la filière industrielle et de ses horreurs. Comme pour certains autres aliments, comme le pain, on peut parler de conquête sociale au profit du consommateur, du patrimoine agricole français, grâce à des paysans courageux bien décidés à préserver l’image et le renom de leur volaille de terroir. Des normes strictement codifiées, dans leur dernière mouture, chaque fois plus précise, depuis 1991. En gros, trois types de production sont aujourd’hui définis par l’Union européenne pour distinguer les filières : la volaille standard produite en batterie, la volaille label Rouge et la volaille bio. Ces deux dernières répondent elles-mêmes à trois mentions liées à la forme d’élevage, « sortant à l’extérieur », « fermier élevé en plein air » et « fermier élevé en liberté ».
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Des normes obligatoires, imposées par les pouvoirs publics, auxquelles les éleveurs français sont très attachés puisqu’elles sont la garantie officielle de la différence entre un bon et un mauvais poulet, et surtout des références clairement indiquées sur l’étiquetage qui permettent au consommateur de s’y retrouver. Autant de valeurs condamnées à disparaître, la Commission européenne ayant décidé de revoir totalement cette réglementation. En effet, présenté à Bruxelles en décembre 2022, un projet de nouvelles normes prévoit d’annuler le caractère obligatoire de la réglementation actuelle en rendant facultatives les contraintes liées à l’élevage en plein air et en liberté. Ainsi, à partir de février 2023, si la Commission ne revient pas sur sa décision, tout opérateur européen pourra user de mentions non réglementées pour étiqueter sa production.
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Ainsi trouvera-t-on sur le marché du « poulet des champs », de la « volaille de plein vent » ou du « poulet à l’air libre », dont l’intitulé ne correspondra à rien de vérifiable et de vérifié. De quoi désorienter le consommateur soudain exposé à un étiquetage quasi sauvage qui ne lui permettra plus de distinguer au premier coup d’œil un poulet label Rouge certifié « élevé en liberté », qui, lui, conservera son éthique de production, vendue aux alentours de 10 € le kg, et une volaille industrielle roumaine ou bulgare, nourrie avec des détritus, entassée dans des cages et vendue sous la mention « poulet libre » à moins de 5 € le kg… Si les initiés un peu vigilants pourront vérifier leurs achats, la grande masse des consommateurs, elle, se laissera abuser. Cette concurrence déloyale et trompeuse portera fatalement préjudice à la filière française de qualité, qui représente aujourd’hui 17 % du marché de la volaille. Déjà que près de 90 % de la volaille servie en restauration collective, cantines scolaires, Ehpad et hôpitaux est importée, c’est au tour de ce trésor alimentaire de faire les frais du néolibéralisme financier. Périco Legasse
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