La révolution basque, avec son respect de l’environnement, est en marche. Une leçon dont devraient s’inspirer Paris et Bruxelles.
Comme toutes les nations primitives, les Basques ont toujours porté à la terre nourricière une dévotion religieuse. Non seulement en vénérant la nature, mais aussi en considérant que leur humanité provenait de cette capacité à s’identifier à un endroit qui façonne l’être. Posée au sommet de la mythologie basque, telle Gaia dans le panthéon hellénique, Amalur, la « terre mère », est une entité féminine dont le cycle quotidien, issu d’un mouvement allant du jour à la nuit, enfante deux filles, Eguzki, symbolisée par le soleil, et Ilargi, la lune. Ainsi le cosmos basque est-il harmonisé par l’alternance entre la « lumière vivante » et la « lumière morte ». À chacun ses croyances. Il n’en demeure pas moins que la notion d’environnement, avec tout ce que cela implique de culturel et de sensoriel, participe de la façon dont les paysannes et les paysans basques approchent le travail de la terre. Ici, la notion de propriété est toute relative.
Ainsi certaines vallées de Navarre et de Soule sont-elles encore gérées par des syndics responsables de l’exploitation collective des terres afin d’en préserver la ressource et de la répartir équitablement. Une écologie sociale déjà en vigueur à l’époque où la féodalité occidentale instaurait le servage. Face à un système agricole français ravagé par les orientations néolibérales de la FNSEA, par ses trahisons au profit du lobby industriel et par sa soumission aux diktats de la grande distribution (validées par cinquante ans de cogestion avec le ministère de l’Agriculture), la ruralité basque relève la tête et les défis qui l’attendent. Grâce à une chambre d’agriculture libre et indépendante, arrachée à l’État au terme d’un combat juridique sans précédents, le syndicat ELB a ouvert la voie à une agriculture du vivant, propre et juste, rétribuant ceux qui la conduisent, et nourrissant ceux qui la soutiennent.
Un exemple dont Paris et Bruxelles devraient s’inspirer s’ils ne veulent pas que la politique agricole commune ne creuse le cimetière de l’Europe verte. Entré dans les mœurs, le circuit court réalise ici des prouesses grâce à des réseaux de proximité dont le succès, renforcé par un organisme certifiant l’authenticité des produits, Idoki (sorte d’AOP basque), attire de plus en plus de citoyens consommateurs. Une révolution, porteuse de perspectives, qui permet à des cuisiniers de s’engager dans l’agriculture paysanne et à des paysans de se lancer dans l’auberge rurale.
HARANEKO BORDA À ITXASSOU : L’AUBERGE PAYSANNE AU SERVICE DU VIVANT
En décidant d’aménager une bergerie où seraient préparés puis servis les produits de sa ferme, Christian Aguerre n’imaginait pas la portée de son initiative. Éleveur de porcs basques, producteur de piment d’Espelette à Itxassou, l’homme considère que la vocation première du paysan est de nourrir son prochain en vivant de son travail, non de consolider les bilans de l’agriculture financière. Débat qui déterminera l’avenir de la planète. Référence de l’auberge paysanne absolue, Haraneko Borda est devenue le symbole de la nouvelle cuisine, non celle d’une tendance ou d’une école, mais celle du vivant et de l’espoir, celle qui fait prendre conscience que la recette commence au champ, à l’étable ou en mer, celle qui confirme que, sans respect de la ressource durable, la gastronomie relèvera bientôt d’une escroquerie intellectuelle.
Confié à Élodie Gosselin et Alexis Roger, deux jeunes Normands pleins de ferveurs et d’énergie, ce sanctuaire du goût juste progresse peu à peu vers le paradis alimentaire. Peut-on nourrir son prochain avec ce qu’il y a de plus proche ? Pour Élodie et Alexis, la réponse est oui. Fier de relever le défi, ce couple porte haut le projet de Christian Aguerre, au point d’en faire un modèle où les grands noms de la cuisine, Alain Ducasse en tête, viennent trouver une raison de plus de croire en leur métier. Le cahier des charges de Haraneko Borda s’inscrit dans la liste des fournisseurs, qui commence sur place pour le porc Kintoa, la volaille, le piment, les œufs et le maïs Arto Gorria de la ferme Haranea, avec lequel Alexis prépare les célèbres taloak, ces petites crêpes à la farine de maïs, sur lesquelles on dépose une tranche de ventrèche ou de gorge de porc grillée… épreuve assez irrésistible.
Elodie Gosselin et Alexis Roger sont aux commandes de l’auberge paysanne Haraneko Borda à Itxassou.
Périco Légasse
La liste se poursuit, de ferme en ferme, toujours à Itxassou, pour les légumes, le veau, l’agneau et le fromage, avant de pousser un peu plus loin, vers Ascain, Urrugne, Ahaxe-Alciette-Bascassan ou Aincille pour les denrées dont l’excellence et la pureté se livrent sous la main d’Alexis. Ainsi en est-il des navets de la ferme Uhaldea, à Saint-Pée-sur-Nivelle, des truites de Michel Goicoechea, à Banka, et des canes de race kriaxera de Michel et de Patrick Dagorret, à Irissarry, avec lequel le chef fait passer le plus délicieux des messages, celui du cuisinier dont la vocation est portée par l’amour du produit. Alexis Roger n’a d’autre ambition que celle de restituer les saveurs et les vertus d’un légume, d’un poisson ou d’une viande, car rien n’est plus essentiel que de respecter le travail du maraîcher, de l’éleveur ou du pêcheur. Ses menus sont un hommage à la passion dont les paysannes et les paysans basques font preuve pour faire vivre leurs paysages à travers le geste du cuisinier.
Retour sur ce filet de canard kriaxera d’Irissary rôti et sa fricassée de betterave rouge aux pêches, petit bijou culinaire né de la synthèse de deux énergies, celle du producteur et celle du chef, pour aboutir à une intense émotion sensorielle lorsque la subtilité de la chair et le goût du canard épousent à la fois la douceur gustative et la fermeté de mâche du végétal. Pour peu qu’un irouléguy rouge, frais, charnu et fruité du domaine Ameztia vienne donner la réplique à ce duo enchanteur, et c’est l’inventaire complet du patrimoine agricole basque qui est à la fête, surtout si le temps permet de contempler l’un des plus beaux panoramas visibles d’une terrasse de restaurant. Élodie et Alexis sont l’honneur du Pays basque et méritent la reconnaissance de cette ruralité magnifique. Leur passion ne nous régale pas seulement, elle donne à manger et du sens au repas. Une étape à ne pas perdre de vue.
Haraneko Borda, 3 Gerastoko Bidea, 64250 Itxassou. Tel.: 05 59 15 09 68. Ouvert du vendredi au lundi, sauf le dimanche soir. Sur réservation.
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Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants.
Quand le dernier arbre aura été abattu, quand la dernière rivière aura été empoisonnée , quand le dernier poisson aura été pêché, alors on saura que l’argent ne se mange pas.
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