Publié le 14 mars 2025
Moins 30 % en avril 2024, idem au 1er janvier… Les aides MaPrimeRénov’ ne cessent de baisser sur les poêles et chaudières au bois, pourtant écologiques. Pourquoi ?
Décidément, les appareils de chauffage au bois ne sont pas dans les petits papiers de l’État. En avril dernier déjà, poêles ou chaudières fonctionnant avec des bûches ou des granulés (aussi appelés pellets) avaient tous essuyé une baisse de 30 % des aides MaPrimeRénov’ « décarbonation » auxquelles les particuliers peuvent prétendre. Rebelote en 2025 : ces subventions ont de nouveau chuté de 30 % en moyenne. Ainsi, depuis le 1er janvier, en fonction des revenus du demandeur, l’aide pour un poêle à granulés varie de 750 à 1 250 €, sachant qu’un tel appareil d’une puissance de 8 kilowatts (kW) coûtait, en moyenne, 5 100 € hors taxe (HT) en 2023, pose comprise. Elle oscille entre 500 et 1 250 € pour un poêle à bûche – dont le prix moyen (pour un modèle de 8 kW) atteignait 4 440 € HT (avec pose) en 2023. Enfin, pour une chaudière à granulés, l’aide va de 2 100 à 5 000 €, mais ici le budget à prévoir dépasse les 15 000 €.
Mauvais signal
Ne noircissons pas le tableau. Les appareils de chauffage au bois restent pris en compte par MaPrimeRénov’ « accompagnée », autre volet du dispositif dédié aux rénovations cumulant plusieurs travaux. Ils sont aussi éligibles aux certificats d’économie d’énergie (CEE) et à la TVA à 5,5 %. En outre, des collectivités complètent toujours ces aides par le fonds « air-bois » incitant au remplacement des vieux appareils, très polluants. « Il n’en reste pas moins que ces coups de rabot sont un très mauvais signal envoyé aux Français sur le chauffage au bois, déplore Éric Vial, délégué général de Propellet, association des acteurs du granulé. Et on craint la suite. Cet automne déjà, le gouvernement Barnier évoquait, au départ, une baisse de 50 % des aides. » Pourtant, dans l’optique de réduire l’empreinte carbone de nos logements – but central de MaPrimeRénov’ –, le chauffage au bois est un allié. Les poêles à granulés émettent 5,64 kg équivalents (éq.) CO2 par an et par mètre carré (m2), et ceux à bûches, 9,2 kg éq. CO2/an/m², indique l’Agence de la transition écologique (Ademe). L’empreinte carbone des chaudières à bois est bien plus faible encore : 3,84 kg éq. CO2/an/m² pour celles à bûches, 3,65 kg éq. CO2/an/m² pour celles à granulés. En comparaison, on grimpe à 39 kg éq. CO2/an/m2 pour une chaudière au gaz et à 57,2 kg éq. CO2/an/m² pour un modèle au fioul. Seules les pompes à chaleur (PAC), promues par l’État, ont une empreinte équivalente : 3,96 kg éq. CO2/an/m². Mais plus la température extérieure est basse, plus elles consomment d’électricité, exposant à des factures salées. « Il est alors souvent utile de les associer à un chauffage d’appoint, un rôle que remplissent très bien les poêles », rappelle Frédéric Coirier, vice-président du Syndicat des énergies renouvelables (SER).
Comment expliquer ces baisses de subventions ? Une partie de la réponse se trouve dans la récente crise énergétique. Pour se protéger de la flambée des prix du gaz et de l’électricité, les Français ont investi dans des appareils de chauffage au bois. Si 2021 était déjà une année record, 2022 a affolé les compteurs, avec 390 000 poêles écoulés (+ 38 % par rapport à 2019). Certes, les ventes ont chuté depuis, mais elles restent excessives aux yeux de l’État, qui craint de manquer de bois à l’avenir, alors que cette ressource joue un rôle clé dans la transition énergétique. Comme puits de carbone, en premier lieu. En absorbant du CO2, nos forêts compensent une partie de nos émissions, de l’ordre de 21 millions de tonnes éq. CO2 en 2023… La forêt française a beau s’étendre depuis la fin du XIXe siècle, elle est fragilisée par le changement climatique (maladies, sécheresse). Résultat : sa capacité à absorber du CO2 a été divisée par deux en 10 ans, et cette tendance inquiétante va se poursuivre.
En second lieu, de nombreux secteurs misent sur le bois pour se décarboner. L’industrie veut s’en servir pour produire de la chaleur, l’aviation, des biocarburants, le bâtiment, pour l’utiliser en substitution du béton au lourd bilan carbone.
L’empreinte carbone des chaudières par type d’énergie

Source : Ademe.
Une erreur d’analyse des pouvoirs publics ?
Malgré ce puits de carbone qui s’épuise, il serait possible d’augmenter les prélèvements de bois afin de répondre à cette demande croissante. Le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), sous l’autorité du Premier ministre, projette de passer des 50 millions de mètres cubes (Mm3) actuels à 63 Mm3 par an en 2030. Toutefois, même ainsi, il n’y aura pas de bois pour tout le monde. Le SGPE a commencé à hiérarchiser les demandes, et chauffer des logements ne figure pas dans les priorités… Frédéric Coirier déplore une erreur d’analyse. « Des secteurs ont exagérément gonflé leurs besoins en bois, le plus souvent d’ailleurs hypothétiques, et liés à des promesses de décarbonation, estime-t-il. Les pouvoirs publics s’affolent et freinent des filières comme la nôtre, qui contribuent déjà à réduire nos émissions de gaz à effet de serre. »
Le tout, à consommation égale de bois. « L’efficacité des appareils de chauffage au bois s’est grandement améliorée », note Florin Malafosse, responsable forêt-bois de Solagro, cabinet de conseil spécialisé dans les enjeux écologiques. Exit, les grandes cheminées alimentées par du bois coupé au fond du jardin. « Elles sont remplacées par des appareils bien plus performants, à foyers fermés, installés dans des maisons mieux isolées et comme chauffage d’appoint, si bien qu’ils peuvent se permettre d’être plus petits, reprend-il. En parallèle, la qualité des bois s’améliore à mesure que les acteurs se professionnalisent. Et puis s’ajoute l’essor des granulés, à haut pouvoir calorifique et fabriqués majoritairement à partir de sous-produits de scieries. » Résultat : la consommation de bois par foyer diminue. « De sept à huit stères en moyenne il y a une dizaine d’années, on est descendu à cinq aujourd’hui », indique Frédéric Coirier, certain que ces progrès se poursuivront.
C’est tout le paradoxe : la filière bois-énergie veut passer d’environ 8 millions de foyers dotés d’appareils de chauffage à 10 millions en 2035, « tout en baissant de 20 % la consommation annuelle de bois de ce parc », poursuit le vice-président du SER. Du reste, ce renouvellement du matériel a des effets positifs sur les émissions de polluants, point noir de ce mode de chauffage. « Pour la même chaleur dégagée, un appareil performant bien utilisé émet jusqu’à 15 fois moins de particules qu’un modèle antérieur à 2005 ou à foyer ouvert », compare l’Ademe.
L’atout majeur du bois : son faible coût
« Cette baisse des aides vient freiner cette transition », se désole Éric Vial. Le délégué général de Propellet veut tout de même croire qu’elles n’impacteront pas tant les ventes d’appareils de chauffage au bois. Car cette énergie garde un atout de taille : son faible prix. En moyenne, le granulé revient à 7,5 centimes d’euros le kilowattheure, contre 11,8 pour le gaz naturel et 20 pour l’électricité. Est-il alors si nécessaire de subventionner le chauffage au bois ? Dans sa quête d’économies, l’exécutif a forcément dû se poser la question. « Après le bouclage biomasse, c’est le nouvel argument qu’on nous donne dans les ministères : les restrictions budgétaires, confirme Éric Vial, qui trouve l’explication fumeuse. Ou alors, il faudrait aussi baisser les aides sur les PAC, premier geste le plus financé par MaPrimeRénov’. Mais, visiblement, avec la relance prévue de la filière nucléaire, l’État tient à ce que les Français se chauffent à l’électricité. » Et tant pis si ça leur coûte plus cher.
Projet Biosyl – À Guéret, les granulés de la discorde
Biosyl, qui produit des granulés à partir de sous-produits sylvicoles, prévoit d’ouvrir une troisième usine à Guéret, dans la Creuse. Mais le projet suscite une vive opposition.

Le 5 octobre, 2 500 personnes ont manifesté, à Guéret, contre l’usine de fabrication de granulés de bois que souhaite ouvrir la société Biosyl en périphérie. L’enjeu, pour cette dernière, est de répondre à une demande en hausse, puisque les Français recourent de plus en plus à cette source d’énergie pour se chauffer. À l’heure actuelle, la production française est de plus de 2 millions de tonnes par an, à 95 % à partir des chutes que génère la fabrication de bois d’œuvre en scierie.
Pas que des déchets de scierie
Biosyl exploite déjà deux sites, dans la Nièvre et en Haute-Loire, avec cette particularité que la matière première ne vient pas tant de scieries mais d’arbres coupés en forêt, surtout des feuillus (châtaigniers, chênes, érables…). Cette troisième usine serait conçue sur le même modèle. Elle produirait 85 000 tonnes de pellets par an, en transformant 140 000 tonnes de bois récupérées dans un rayon de 130 kilomètres – dont un quart issu des scieries et le reste des forêts de feuillus alentours. Benoît Rachez, directeur général d’Unisylva, la coopérative forestière qui fournira principalement Biosyl, se veut rassurant : « Le bois viendra de coupes d’éclaircie et, dans une moindre mesure, de coupes de régénération. » Les premières consistent à prélever les arbres les moins prometteurs d’une parcelle pour faciliter la pousse des autres, quand les secondes visent à couper ceux arrivés à maturité pour replanter derrière. « Dans les deux cas, une partie de la récolte n’est pas de qualité suffisante pour faire du bois d’œuvre [la meilleure valorisation économique et écologique], affirme Benoît Rachez. On en fait alors du bois énergie. » Mais Bruno Doucet, chargé de campagne à Canopée, l’une des ONG qui mènent la fronde contre ce projet d’usine, n’a pas confiance. « L’État subventionne les coupes rases de forêts estimées vulnérables face au changement climatique, argue-t-il. Afin d’en profiter au maximum, les coopératives jugent dépérissantes des parcelles qui ne le sont pas, pour replanter derrière des résineux comme le douglas, plus facile à exploiter par l’industrie. » En 2019, dans une enquête, Canopée accusait ainsi Unisylva et Biosyl d’avoir transformé en granulés, dans l’usine de la Nièvre, des chênes centenaires en bonne santé.
En Creuse, la forêt décroît déjà
Benoît Rachez rejette en bloc ces accusations et assure que l’usine prévue à Guéret ne mettra pas en péril la forêt de feuillus du Limousin, « dont on est loin d’exploiter le potentiel, même dans le cadre d’une gestion durable », insiste-t-il. Mais les opposants raisonnent à l’échelle de la Creuse, où Biosyl se fournira essentiellement. « Le volume de bois sur pied y décroît déjà chaque année, la mortalité et les prélèvements étant supérieurs à la capacité de la forêt à se régénérer, rappelle Justine, de Forêt Debout 23. On imagine mal comment cette nouvelle usine ne creuserait pas un peu plus ce fossé. » En outre, des projets semblables se multiplient alentour. « À Égletons [à 80 km au sud], la scierie Farge veut s’agrandir pour devenir la plus grande de l’Hexagone », explique Dominique Guinot, vice-président de France nature environnement Creuse. Ce dernier n’est pas opposé à une exploitation économique du bois, « mais à condition qu’elle soit mieux planifiée et qu’elle garde comme priorité la bonne santé des forêts ». Une remarque valable ailleurs en France ? « Il manque encore une vision régionalisée de l’exploitation forestière dans le cadre de la transition énergétique, estime Florin Malafosse, du cabinet de conseil Solagro. Des projets industriels voient le jour, en assurant que leur besoin en bois ne mettra pas en péril les ressources locales. Mais, en les additionnant, souvent, ça ne passe plus. »

Fabrice Pouliquen (
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