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Méthanisation : la course mortifère au nouvel or vert (source Marianne)

Santé-Ecologie Ustaritz
Publié le 8 mai 2021

La polémique ferme des 1 000 vaches, dans la Somme, n’était finalement que la plus médiatique initiative du genre, masquant en fait un vaste projet d’implantation de méthaniseurs. Parées des vertus des énergies renouvelables, promues par les énergéticiens comme Engie, ces installations visant à produire de l’électricité et de la chaleur à partir des déjections animales sont grassement subventionnées. Déjà plusieurs accidents ont provoqué des rejets massifs de type marée noire. À plus long terme, l’équilibre de la filière agricole est menacé.

Vous avez aimé la multiplication des éoliennes, vous allez adorer celle des méthaniseurs vendue avec le même argument : la lutte contre le réchauffement climatique. Cette fois, c’est le monde agricole qui rêve d’un nouvel avenir radieux : que poussent 100, 1 000, 10 000 méthaniseurs, partout dans nos campagnes ! Après les éoliennes, les agrocarburants, voici une nouvelle manne propre à panser les plaies d’un secteur qui va perdre 1 milliard d’euros d’aides européennes avec la nouvelle PAC. Du coup, et « quoi qu’il en coûte », l’État, la recherche, les élus de toute obédience, ont promu à une vitesse record ce mirage, garant d’une nouvelle rente, aussi incertaine au plan agronomique que lourde de menaces environnementales, avec un risque de « marées noires » catastrophiques.

Alors qu’au début des années 2000 l’Allemagne s’enorgueillissait d’avoir créé une véritable industrie de la méthanisation agricole (désormais remise en cause outre-Rhin), cette technologie demeurait marginale dans l’Hexagone, cantonnée au traitement des ordures ménagères comme alternative à leur incinération. Tout va changer avec le Grenelle de l’environnement, en 2007, qui acte la relance de la méthanisation. La lutte contre le rejet dans l’atmosphère des gaz à effet de serre est instituée comme priorité absolue de toutes les politiques publiques environnementales, parfois, et même souvent au détriment de l’organisation traditionnelle en la matière. L’eau, l’air, les sols, l’énergie, l’agronomie… tout est remixé dans le grand gloubi-boulga du « sauvons le climat », désormais accommodé à toutes les sauces. Élaboration d’une stratégie « bas carbone », nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie, promotion à outrance de l’« économie circulaire », le grand virage donne le tournis. Et dans ce tourbillon jaillit la méthanisation agricole.

FINANCIARISATION DE L’AGRICULTURE

De quoi s’agit-il exactement ? De produire de l’électricité et de la chaleur à partir des déjections d’un élevage. Triple bénéfice : valoriser les effluents (en gros, les eaux usées) et les déchets agricoles ; produire un engrais de qualité ; assurer un revenu complémentaire, via la revente d’électricité. La méthanisation consiste donc à valoriser les excréments en les mélangeant dans un digesteur, notre fameux « méthaniseur », à des cultures dites « intermédiaires » (avoine, orge…) et à d’autres résidus céréaliers. Le tout va lentement chauffer dans la cuve à environ 40 °C pendant quarante jours, et jusqu’à trois mois selon l’installation. Le méthane produit est ensuite converti en électricité, et injecté dans le réseau. La chaleur dégagée sert à chauffer l’exploitation. Mais le digesteur produit aussi la part maudite de la recette, le « digestat » : un concentré d’azote, de phosphore et de micro-organismes qui seront ensuite épandus sur les terres en guise d’engrais, bouclant ainsi la boucle de la fameuse « économie circulaire ».

Cette image d’Épinal, martelée à l’unisson par le nouveau lobby de la méthanisation, est très tôt contestée par la Confédération paysanne, qui redoute une financiarisation accrue de l’agriculture à travers l’arrivée d’entreprises et de capitaux industriels (le syndrome « ferme des 1 000 vaches »). Mais aussi par des voix minoritaires de scientifiques qui pointent, eux, un bilan carbone global du procédé loin d’être glorieux. Mais ce n’est pas tout. Le bilan azote de la méthanisation est tout aussi catastrophique, comme l’a récemment mise en lumière l’audition de Marc Dufumier, figure de l’agronomie française, auditionné au Sénat le 6 avril par la Mission d’information sur la méthanisation agricole (1). Ou celle de Daniel Chateigner, physicien et membre du Collectif national pour une méthanisation raisonnée, qui formule une critique plus radicale encore.

RISQUE DE FUITE

Le physicien expliquait en outre, en 2019, au site Reporterre.net que, bien que la méthanisation soit réputée vertueuse pour ses faibles émissions de gaz à effet de serre, cela était « faux » expliquant par exemple que « lorsque les bâches qui couvrent les digesteurs se détériorent, vous avez une fuite de méthane ». Affirmation nuancée par l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA), depuis lors fusionné avec l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), assurant que les risques de fuite se situent plutôt au niveau des soupapes de sécurité et des canalisations. L’enjeu est de taille pourtant : le méthane a un potentiel de réchauffement 28 fois supérieur à celui du dioxyde. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) estime pour sa part que le taux de fuite potentiel se situe entre 0 et 10 %, mais la faiblesse des données disponibles ne permet pas de trancher.

Mais ce qui inquiétait le plus notre chercheur à la retraite, c’est le protoxyde d’azote. « Le digestat est très volatil, l’ammoniac se disperse très facilement dans l’air. À son contact, il s’oxyde et va développer du protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre 300 fois plus puissant que le CO2. » À cela s’ajoute l’apparition de l’oxyde d’azote, un polluant pris en compte dans les mesures actuelles de la pollution de l’air. Mais aussi, le développement de particules fines.

FUITE EN AVANT ÉNERGÉTIQUE

Qu’à cela ne tienne. En 2018, le ministère de la Transition écologique et solidaire recensait déjà 646 unités de méthanisation en France, essentiellement des installations agricoles d’une puissance de 100 à 150 kW. Tout cela coûte bonbon, et rappelle furieusement les carambouilles des éoliennes. D’une part des subventions à l’investissement (jusqu’à 20 %), et surtout un prix de rachat intéressant. Pour un méthaniseur de moins de 250 kW, le gaz est racheté environ 18 centimes d’euro/kWh et, pour une installation d’une puissance supérieure à 250 kW, 16,5 centimes d’euro/kWh. À quoi vient s’ajouter la prime effluents : s’ils représentent 60 % des matières injectées dans le digesteur, ce sera 4 centimes de plus du kilowattheure. Sans oublier des contrats de vingt ans avec prix plancher garanti.

La loi sur la Transition énergétique du 17 août 2015 fixait un objectif de 1 500 méthaniseurs en 2020. Une fuite en avant frénétique intervient au début de l’année 2018. Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, doit faire avaler à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) la perte de 1 milliard d’euros d’aides européennes par an, conséquence de la réforme de la PAC. En à peine un mois, un groupe de travail ad hoc va bousculer toutes les « pesanteurs », raccourcir les délais d’instruction des dossiers en allégeant les procédures.

LOBBY

Parallèlement, un formidable lobby voit le jour. Tous les acteurs du secteur s’agitent, leur acronyme en bandoulière : l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), le Syndicat des énergies renouvelables (SER), l’association des acteurs du secteur du gaz CoEnove, la FNSEA bien sûr, mais aussi la Caisse des dépôts (CDC), la Banque publique d’investissement (BPI), l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF), les chambres d’agriculture… En février 2018, le député LREM Stéphane Travert présente un plan d’action Bioéconomie, puis Nicolas Hulot lance un appel à projets Biomasse. Des conventions sont signées entre Gaz réseau distribution France (GRDF), l’INRA, la FNSEA, les chambres d’agriculture. En avril 2018, la ruée vers l’or vert enregistre 860 nouveaux projets. La BPI annonce de nouveaux financements.

La machine, lancée à pleine vitesse, connaît pourtant ses premiers déboires. Le défi de l’acceptabilité se pose de plus en plus clairement. En janvier 2021, la Confédération paysanne demande un moratoire. Le tout nouveau Collectif national vigilance méthanisation pointe du doigt l’absence de transparence et demande un débat national. Cela n’empêche pas les énergéticiens d’avancer leurs pions : auditionnée le 3 mars 2021 au Sénat dans le cadre de l’affaire Veolia-Suez, la nouvelle DG d’Engie, Catherine MacGregor, déclare que la méthanisation est un enjeu stratégique pour le nouveau « mix énergétique » français et annonce souhaiter la multiplication par sept des installations actuelles…

EFFETS À LONG TERME

D’autres questions se font jour. « Lorsque le digestat bourré de pathogènes est épandu, il est consommé par le sol puis s’infiltre vers les cours d’eau et les nappes phréatiques » explique Marie-Pascale Deleume, d’Eaux et rivières de Bretagne, une association de protection de l’environnement. « Dans les zones karstiques comme sur les pentes des causses, l’infiltration est très rapide et va directement dans les nappes phréatiques, où nous pompons notre eau potable » poursuit Michel Bakalowicz, hydrologue et chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à la retraite, membre du Conseil scientifique national pour une méthanisation raisonnée (CNSM).

Les effets à long terme sont tout aussi délétères. Si produire du gaz à partir d’effluents offre une nouvelle source de revenus aux éleveurs, le développement à marches forcées des méthaniseurs bouscule le marché des déchets, intensifie la concurrence entre les cultures, et pousse à la concentration des exploitations. Pour Pierre Aurousseau, agronome à la retraite, membre du CSNM, si on continue dans cette voie, les méthaniseurs vont se multiplier et de nombreuses terres seront consacrées à la production de cultures destinées… au digesteur. « Si les objectifs gouvernementaux sont atteints, l’équivalent de trois départements sera consacré à 100 % aux cultures intermédiaires pour alimenter les méthaniseurs. Et, lorsque nous n’aurons plus assez de place pour les élevages, nous importerons des effluents de l’étranger. C’est ce qu’a fait l’Allemagne en achetant des effluents en Pologne. On marche sur la tête ! »

Les risques : une augmentation du foncier agricole, un renchérissement colossal en cas de transmission de l’exploitation puisqu’il faudra ajouter au coût des terres, des bâtiments et du matériel, celui de l’installation de méthanisation. Avec, in fine, la perspective de voir les énergéticiens se substituer, via l’apport des capitaux nécessaires, aux agriculteurs…

(1) Mission d’enquête parlementaire, commission des Affaires économiques, Sénat, audition des professionnels de la recherche en agronomie, mardi 6 avril. Rapport attendu pour septembre.

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